InternetLa Suisse accusée d'être un havre pour les pirates
La Suisse est beaucoup trop laxiste lorsqu'il s'agit de traquer les internautes qui téléchargent illégalement de la musique ou des films, selon les Américains.
- par
- Alexandre Haederli

Ron Kirk représentant américain au commerce et membre du cabinet de Barack Obama.
«Les Etats-Unis encouragent vivement la Suisse à combattre vigoureusement le piratage en ligne.» Difficile de faire plus clair comme message. Cette petite phrase est glissée dans le «2012 Special 301 Report», récemment publié sous la plume de Ronald Kirk, représentant américain au commerce et membre du cabinet de Barack Obama. Ce document de 54 pages daté du mois d'avril dresse, au chapitre «Piratage sur Internet», une liste de pays avec lesquels les Etats-Unis souhaitent «travailler pour renforcer leur législation et améliorer son application». Y figurent notamment la Biélorussie, la Roumanie, le Brésil, l'Ukraine, la Colombie et Brunei. Et la Suisse. La Confédération est même la seule à avoir droit à plusieurs lignes de commentaires rien que pour elle.
Le communiqué de presse qui accompagne la publication du rapport en remet une couche. On y oppose deux Etats aux «trajectoires opposées». D'un côté, l'Espagne dont l'héritage culturel a été décimé par une décennie de piratage et dont le gouvernement, après un long silence complice, a fini par prendre des mesures. Un effort salué par les autorités américaines. De l'autre côté, la Suisse «qui n'a, jusqu'à présent, manifesté que peu de compréhension quant à la gravité du problème du piratage en ligne» et n'a pas compris «l'urgence à pallier le fait qu'elle n'a que peu, voire aucun, moyen pour y remédier».
La crainte de certains observateurs («Le Matin Dimanche» du 4 mars 2012) vient de se réaliser: la Suisse est désormais formellement pointée du doigt par les Etats-Unis pour son laxisme en matière de protection du droit d'auteur. De quoi rappeler de bien mauvais souvenirs, à commencer par la guerre fiscale que les Américains ont déclarée à la Suisse.
Dans ce nouveau dossier, comme dans d'autres, Berne a longtemps tenté de faire le dos rond en espérant que l'orage passe. Le 30 novembre dernier encore, le Conseil fédéral, répondant à un postulat de la conseillère aux Etats Géraldine Savary, estimait qu'il n'y avait aucune raison de renforcer les mesures contre le téléchargement illégal. «Ce sont surtout les grandes sociétés de production étrangères qui pâtissent», relevait alors l'exécutif.
Un «regrettable malentendu»
Seulement voilà: plutôt que de calmer le jeu, ce rapport a fait tiquer les Américains dont le divertissement est la principale industrie d'exportation. Et il met aujourd'hui les autorités suisses dans un profond embarras.
Informées avant la publication de ce rapport accablant, les autorités suisses ont eu l'occasion de faire valoir leurs arguments face aux accusations américaines dans une lettre dont nous avons obtenu copie: «Les Etats-Unis semblent considérer que la Suisse ne veut pas […] combattre efficacement les violations du droit d'auteur», déplorent en chœur le Secrétariat à l'économie et l'Institut fédéral de la propriété intellectuelle. Cette perception erronée découlerait d'un «regrettable malentendu» au sujet de la réponse du Conseil fédéral au postulat de Géraldine Savary, explique la missive.
Manifestement l'argument n'a pas convaincu les Américains d'exclure la Suisse de la liste des paradis numériques. «Les Etats-Unis n'ont évidemment pas à nous donner de leçon, ni à imposer leur vision du droit d'auteur à d'autres pays, mais en l'occurrence ils pointent une vraie lacune dans notre législation», réagit Géraldine Savary.
La Berne fédérale commence tout juste à se réveiller. «La Suisse s'est mise autour de la table avec les autorités américaines ainsi que des représentants des intérêts américains et suisses», explique Felix Addor, directeur suppléant de l'Institut fédéral de la propriété intellectuelle. La conseillère fédérale Simonetta Sommaruga a par ailleurs reçu il y a quinze jours des représentants des artistes suisses, de la SUISA et des lobbys américains. Un groupe de travail devrait être constitué prochainement pour réfléchir à cette problématique.
A l'ambassade américaine de Berne, on confirme travailler étroitement avec les autorités suisses. Et on ne manque pas de rappeler que le respect de la propriété intellectuelle est une priorité pour les Etats-Unis.