Code pénalLa Suisse trop clémente envers le viol
La peine minimale pour les crimes sexuels se limite à des jours-amendes. Inacceptable et archaïque.
- par
- Valérie Duby et Benjamin Pillard

C'est une réalité. En Suisse, la justice pénale punit plus sévèrement le viol que la contrainte sexuelle. Cette diversité helvétique, ce «Sonderfall européen, voire mondial», pour reprendre les termes de l'avocate pénaliste genevoise Lorella Bertani, n'est pourtant plus d'actualité aux yeux de nombre d'associations de femmes, de spécialistes et d'acteurs du droit des victimes. «C'est une vision archaïque et passéiste, déplore Me Bertani, qui défend depuis plus de 20 ans les victimes et participera, lundi, à une table ronde intitulée «Le viol, un crime à géométrie variable?» en présence, notamment du conseiller d'Etat genevois Pierre Maudet.
«Allez donc expliquer à une jeune fille ou à un jeune homme sodomisés que ce qu'ils ont subi est moins grave qu'un viol en tant que tel, parce que la peine minimale encourue n'est passible que de jours-amendes!» s'emporte Me Bertani. La loi suisse, contrairement à nombre de pays européens, aux Etats-Unis et au Canada, fait en effet la distinction entre le viol et la contrainte sexuelle. Dans notre pays, l'article 190 du Code pénal définit le viol comme le fait de contraindre une personne de sexe féminin à subir l'acte sexuel (par pénétration du pénis dans le vagin) et exclut, de fait, tout autre moyen et forme de pénétration, de même que les victimes hommes. Or les conséquences d'une relation non consentie sont identiques. «Ce genre de traumatisme a des effets similaires», relève Philip E. Jaffé, psychothérapeute et professeur à l'Université.
«Conception inadaptée»
«Une telle conception est aujourd'hui aussi limitée qu'inadaptée aux comportements et aux déviances sexuels (dans la société suisse en particulier)», écrit Nicolas Queloz, professeur de droit à l'Université de Fribourg, dans l'article consacré au viol «Une diversité culturelle appelée à disparaître?». Et de constater que si le droit espagnol, par exemple, «très longtemps marqué par le carcan religieux, est un exemple marquant d'un changement radical survenu en 1996 (…), le droit suisse en la matière.» Pour nombre d'associations de défense de victimes, la notion trop stricte du viol n'est que le résultat historique de la négation des violences faites aux femmes, et renvoie à l'époque où le viol relevait d'une atteinte aux mœurs et était puni afin d'éviter une procréation hors des liens du mariage.
Alors qu'en Suisse, l'an dernier, trois viols et agressions sexuelles ont été commis en moyenne par jour, Nicolas Queloz – et beaucoup d'autres – proposent de ne maintenir dans le Code pénal suisse qu'une seule et unique norme pénale réprimant tous les actes de contrainte sexuelle sans distinction.
Une réforme juridique qui ne semble pas à l'ordre du jour sous la Coupole fédérale, même si des parlementaires de tous bords la verraient d'un bon œil. «Le viol et toutes les violences sexuelles doivent être considérés comme un délit grave!» lance la féministe Maria Roth-Bernasconi (conseillère nationale PS/GE). A la Commission des affaires juridiques, on pointe volontiers du doigt le travail des tribunaux. «Le problème ne vient pas tellement du Code pénal, mais de l'application qu'on en fait, estime le Valaisan Oskar Freysinger. Les juges sont trop cléments. Je serais favorable à instaurer une clause législative qui réduise leur marge de manœuvre.» Même son de cloche chez le président de la commission Yves Nidegger. «Dans les affaires de contraintes sexuelles, le juge tient compte de multiples circonstances, contrairement à la circulation routière, où l'on parle de mise en danger abstraite.» Des circonstances atténuantes pour les violeurs que fustige également Jean-Christophe Schwaab (PS/VD): «Dire que les femmes habillées de manière trop aguichante inciteraient au viol est très dangereux!» Sensibiliser les juges à plus de répression, soit. Mais cela ne doit pas étouffer les cris du cœur des défenseurs des victimes.
Conférence lundi à 18 h 30 à Uni Mail, Genève