Interview: «La voiture idéale? Ça n'existe pas!»

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Interview«La voiture idéale? Ça n'existe pas!»

Chef designer de Seat, Alejandro Mesonero est un homme comblé. C'est sous son crayon qu'est né l'Ateca, le premier SUV de la marque. En marge du Salon de Genève, il nous parle de son métier passion.

Philippe Clément
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Philippe Clément

Avec l'Ateca, présenté en première mondiale au Salon de Genève, Seat fait son entrée dans la famille en vogue des SUV. Comment créer un modèle qui n'avait jamais existé dans une marque à l'identité visuelle aussi forte que la filiale espagnole de VW? Nous sommes allés chercher les réponses auprès d'Alejandro Mesonero, son chef designer.

Comment fait-on pour «inventer» un SUV dans une gamme qui n'en a jamais contenu?

La réponse est simple: partir de ce qu'on connaît, puis extrapoler. En l'occurrence, nous sommes partis de l'ADN de la Leon, notre modèle à succès, et nous l'avons traduit en codes SUV.

«Traduit en codes SUV»?

Le propre du design de la Leon, ce sont des surfaces souples, progressives. Pour l'Ateca, nous sommes partis de là et nous avons imaginé un design plus mécanique, plus musclé. Nous avons accentué les lignes sur le capot, pour rehausser le centre de gravité, et nous avons ajouté des passages de roues carrés, façon Jeep Willys. Ça donne une image plus forte, plus musclée.

De par sa taille plus grande, un SUV offre-t-il plus de liberté d'expression?

Ni plus ni moins qu'un autre style de véhicule. C'est vrai qu'il y a «plus de place», mais les restrictions sont identiques.

Quelles restrictions?

Un designer ne peut jamais faire ce qu'il veut. Il y a l'imagination, le design, les envies. Mais il existe trois facteurs limitants: la technique, les finances et la législation. On doit pouvoir placer tous les éléments de la voiture, l'ensemble ne doit pas coûter trop cher à la fabrication et nous devons respecter toutes les contraintes légales en matière de sécurité et de protection des piétons.

Si vous n'aviez pas eu de contraintes, qu'est-ce qui aurait été différent?

En fait, pas grand-chose… La voiture est le plus «juste» en fonction des contraintes. Bon, j'aurais peut-être aimé des roues un peu plus grandes…

En créant un nouveau modèle, à quoi faites-vous particulièrement attention?

A ne pas exagérer! Faire simple, c'est faire juste. Mais ça demande beaucoup de travail. Chez nous, on applique l'«idiot proof»: quand on a créé un bouton, une commande, on prend le gars le moins à l'aise avec la technologie et on lui demande de faire fonctionner le truc sans explications. S'il n'y arrive pas, c'est que c'est raté…

Dans les années 1960, des designers comme Giugiaro, Bertone ou Pininfarina étaient les rois. Les marques les appelaient, et ils «faisaient» du Bertone ou du Pininfarina. Maintenant, un designer doit avant tout respecter l'«identité de la marque» pour laquelle il travaille. Frustrant?

C'est vrai que ces années-là étaient un peu l'âge d'or du design. Depuis, on a assisté à ce que j'appelle la «victoire du marketing sur le style». En tant que designer, je trouve évidemment cela un peu dommage. Mais, d'un autre côté, le rapport à la voiture aussi a changé. Aujourd'hui, quand je dessine une Seat, je dois penser aux 14 000 familles qui vivent de la marque. Si je dessine une voiture trop exotique et qu'elle ne se vend pas, je mets en danger toute la «famille Seat». C'est un luxe que je ne peux pas me permettre.

Ça veut dire que le design personnel, c'est fini?

Non. Chaque designer amène sa personnalité, sa «patte». Mais notre responsabilité est grande. Prenez l'Alfa Giulietta Sprint de 1960, par exemple. C'est une voiture au design fort et que, personnellement, j'adore. Il s'en est produit 20 000 exemplaires en dix ans de commercialisation. Aujourd'hui, 20 000 voitures, ça se fabrique en moins d'un an!

Donc on ne peut plus prendre de risques au niveau du style…

Si, mais il faut être prudent. La voiture ne doit pas être fade, c'est clair. Mais, dans un monde où tout change en permanence, les clients d'aujourd'hui ont besoin d'être «rassurés», de trouver des repères. Les gens sont peut-être un peu plus frileux. Mais, s'ils achètent une Seat, ils veulent avoir une voiture qui «ressemble» à certains critères, pour appartenir à une famille, à un clan.

Ne craignez-vous pas alors que, dans un grand groupe multimarques, toutes les voitures commencent à se ressembler?

Au contraire! Notre nouveau patron, Matthias Müller, veut justement plus d'autonomie pour toutes les marques! Pour les designers du groupe, c'est une excellente nouvelle! (Sourire.)

La voiture idéale?

Ça n'existe pas! La voiture idéale, ma voiture idéale, change toutes les semaines! C'est pour ça que j'adore lire, m'informer. La ligne d'une voiture dit beaucoup sur l'époque où elle a été dessinée.

Vos voitures préférées?

En ce moment? J'aime beaucoup ce qui se fait chez Volvo. Ce design scandinave simple, élégant et efficace fonctionne bien et me plaît beaucoup. Sinon, dans les classiques, je dirais la Giulietta Sprint, la Ferrari Daytona, la Lamborghini Miura, la Maserati Khamsin, les italiennes des années 1960-1970 et, bien sûr, la Porsche 911. C'est simple, efficace et sans artifice.

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