SportsLe freestyle, cette urbanité triomphante
Historiquement inspirés des sports urbains, le slopestyle et le half-pipe redéfinissent les liens entre la ville et la montagne. Jusqu'à la fusion progressive des univers?
- par
- Mathieu Aeschmann
Il faut commencer par un petit effort de visualisation. Presque rien. Oubliez la neige, anoraks et dossards pour conserver les attitudes, les modules, l'amplitude des sauts et le vocabulaire qui va avec. Depuis deux semaines, les prouesses des skieurs et snowboarders freestyle renvoient inlassablement aux instantanés des acrobates de nos villes, en skate, rollers ou trottinettes. Que cache ce mimétisme? Les héros de PyeongChang sont-ils de lointains cousins des skateurs de Vidy ou les mêmes gamins qui rident jusqu'à la nuit tombée au skatepark de Plainpalais?
Recrutement au skatepark
«Slopestyle et halfpipe, c'est clairement notre famille, j'y vois du street transposé à la montagne, répond David Lenoir, coordinateur de La Fièvre, la plus grosse association des sports de rue de Suisse. Les gros modules, la tête en bas, tout se recoupe. Il n'y a qu'une vraie différence: le dénivelé. Sur la neige, tu as besoin d'une descente.»
Ces «cousins» des villes et de la montagne possèdent d'ailleurs un passé et une Mecque en commun: les X-Games, version urbaine (1994) puis enneigée (1997). Halfpipe, slopestyle et big air y sont nés à la compétition avant de devenir olympique. Et Shaun White y a sculpté la figure mythique du boarder global, sur roulettes ou sur la neige.
Voilà pour la filiation historique, celle du temps des pionniers et des chapelles. «Les skateurs ont toujours été les plus conservateurs, réfractaires au port du casque ou aux JO. Et lorsque je suis entré pour la première fois à skis dans un halfpipe, dans les années 1990, j'ai pris des snowboards sur la tête, se souvient David Lenoir. Depuis, les mentalités ont évolué, surtout sous l'impulsion des meilleurs.
Si bien que la génération qui a 20 ans aujourd'hui est la première à avoir tout pratiqué depuis le début: skate, roller, snowboard et ski. À mon avis, on se dirige de plus en plus vers une fusion des pratiques.» En d'autres termes, le «monde du freestyle», même confronté à la segmentation des disciplines, semble avoir compris les bienfaits techniques et logistiques d'une approche globale.
«On recrute très souvent au skatepark de Plainpalais, témoigne ainsi Gabriele Guzman, responsable de la Team Freestyle du Genève Snowsports. Si on voit un enfant qui a des aptitudes en skate, en rollers ou en trottinette, on lui demande s'il pratique les sports d'hiver. Souvent, c'est oui mais de manière non structurée. Alors on lui propose un essai.» Dans sa structure élite, les jeunes de 12 à 16 ans enchaînent alors trampoline et condition physique la semaine puis travail sur la neige le week-end.
Non sans totalement oublier les joies du skatepark. Car la rue ne saurait rester un biotope originel, comme le confiait Iouri Podlatchikov, ardent skateur, dans le livre portrait que lui avait consacré Christof Gertsch en 2014.
«Le skate demande plus de subtilité. Tu n'as pas les pieds attachés à la planche, donc le moindre écart ou une poussée dans un mauvais timing en haut de la rampe peut te faire chuter. Mais le skate est aussi un soulagement, une thérapie. Sur un skate, je suis totalement happé par l'action, complètement absorbé.»
Sur la route de son titre à Sotchi, le Zurichois avait loué un hangar – 40 000 francs les 18 mois – pour y construire un skatepark privé où il recevait ses collègues de l'équipe de Suisse. Et à Laax, les 1000 m2 de la Freestyle Academy réunissent rampes, trampolines, tapis de mousse, roulettes et lattes, le tout à quelques encablures des pistes.
Les «citadins» plus compétiteurs?
Dès lors, cette joyeuse réunion de la rue et de l'or blanc a-t-elle changé la sociologie des apprentis champions? «Oui et non. Il y a toujours des montagnards et des riders de skatepark, décrit Gabriele Guzman. Après, ils sont un peu différents. Les jeunes de la montagne me semblent plus attirés par la sensation d'une sortie dans la poudre ou par l'idée de produire des belles images.
Ceux de la ville sont davantage des bêtes de compétition, ils ont envie d'être les meilleurs.» De quoi tracer une dernière ligne de démarcation entre nature et plaisir d'un côté, béton et compétition de l'autre. Une ligne qui pourrait vite devenir le vestige d'un autre temps. Car des skateparks aux snowparks, de la ville jusqu'en station, en patins, sur des skis ou une planche, la quête de liberté et de performance de freestylers est en train de dessiner un espace commun. Un univers urbain qui respire le grand air.