JO de TokyoLe Japon ne veut pas d’un nouveau drame dans son temple
Reportage dans le berceau du judo, le Nippon Budokan, où l’on perçoit clairement l’importance de ce sport pour les Japonais, prêts à vibrer devant les combats de la catégorie reine vendredi.

- par
- Jérôme Reynard

Le Nippon Budokan de Tokyo, construit pour les Jeux olympiques de 1964.
Le mythique Nippon Budokan. Ses 14’000 places. Ses impressionnantes tribunes verticales. Son histoire. Les Beatles ont joué sur cette scène culte du rock en 1966. Mais c’est surtout ici que le judo a subi son coup d’accélérateur en faisant son entrée aux Jeux olympiques deux ans plus tôt*. Avec une moisson de médailles d’or japonaises… et un drame national: la défaite en finale des poids lourds de la légende Akio Kaminaga face au Néerlandais Anton Geesink.
Au pays du soleil levant, tout le monde ou presque connaît ce combat. Et rêve d’une issue différente, ce vendredi soir, en finale de la catégorie reine des JO 2020. Le problème? Il s’appelle Teddy Riner. Et les Japonais en sont conscients. Il suffit de se promener dans les couloirs du temple des arts martiaux pour le saisir. À l’évocation du nom du double champion olympique français (32 ans), nos interlocuteurs enchaînent les rictus. «Il me fait peur», avoue l’un des employés du dojo.

Teddy Riner est arrivé en début de semaine au Japon.
«Il aspire à égaler une autre légende japonaise, Tadahiro Nomura, le seul judoka à avoir remporté trois médailles d’or aux JO (ndlr: 1996, 2000, 2004). Et il veut accomplir cet exploit dans le pays natal de ce sport, chez nous. Je vous laisse imaginer comment on vivrait ça s’il y parvient en battant notre combattant (Hisayoshi Harasawa) en finale.» On voit très bien où veut en venir Chikara Kariya, directeur-adjoint du Kodokan Institute, le quartier général de la communauté mondiale du judo, rencontré sur place.
Une culture, une éducation
«Il ne faut pas qu’il gagne; pas cette fois, pas ici», prie de son côté un responsable de la sécurité, dont l’angoisse en dit long sur l’importance de ce sport chez les Nippons. Chikara Kariya nous éclaire. «Le respect est une valeur fondamentale dans la vie des Japonais. Et le judo, c’est d’abord le respect. Ça commence par l’inclination; cette révérence que l’on fait au dojo et à l’adversaire. Au Japon, le judo fait partie de la culture.»
C’est même plus que ça. «À l’école, le judo est inscrit au programme d’éducation jusqu’en secondaire, raconte un volontaire du site. Enfants, on en a presque tous fait. C’est un bon moyen d’apprendre la politesse et le respect. Quant au Nippon Budokan, chaque judoka japonais rêve d’y combattre un jour.»
Selon un membre de l’équipe presse, le temple est le site le plus médiatisé des JO 2020. «On a tous les jours 200 journalistes et 100 photographes», explique-t-il. Les compétitions se déroulent à huis clos, mais les bénévoles qui garnissent les tribunes font du bruit. Surtout lorsqu’un Nippon s’impose. Imaginez devant 14’000 personnes. Et devant une finale Harasawa - Riner.

Harasawa versus Riner, ici à Montréal en 2019.
L’élu
«Le Japon attend depuis 2008 (Satoshi Ishii) un champion olympique des poids lourds. Et je crains bien que l’attente se poursuive, pronostique Sergei Aschwanden, joint par téléphone. Harasawa fait partie des prétendants, mais à côté de lui, Riner reste supérieur, bien qu’il ne semble pas dans des conditions optimales (ndlr: sa préparation a été perturbée par une blessure et il a hérité d’un tableau difficile, lui qui a chuté au classement mondial après une pause d’une année, entre fin 2017 et fin 2018). Et puis, selon moi, le Tchèque (Lukas Krpalek), le Russe (Tamerlan Bashaev) et le Géorgien (Guram Tushishvili) sont au-dessus aussi.»
«L’équipe nationale, les coaches et les combattants ont passé énormément de temps à analyser le meilleur moyen de gagner contre Teddy Riner ici»
La pression sur les épaules du No 2 mondial (29 ans) doit être immense. Chaque pays ayant droit à un seul représentant par catégorie aux Jeux, il a été préféré à son compatriote Kokoro Kageura (No 3 mondial), qui avait pourtant mis fin à l’invincibilité de Riner (10 ans, 154 combats) en février 2020.
Harasawa, lui, n’a jamais battu le décuple champion du monde (2 défaites, dont la finale des JO de Rio). Qu’importe, il est l’élu, celui que la fédération considère comme le plus à même d’emmener tout un pays au septième ciel vendredi soir en décrochant l’or à domicile. «L’équipe nationale, les coaches et les combattants ont passé énormément de temps à analyser le meilleur moyen de gagner contre Teddy Riner ici, ou même de gagner tout court, conclut notre interlocuteur du Kodokan Institute. Mais c’est compliqué: Harasawa a un déficit d’envergure (ndlr: une quinzaine de kilos). Il doit essayer de compenser au mieux avec sa technique. J’y crois.» Tout le Japon en rêve.
*Aux JO de 1964, le Jurassien Eric Hänni avait par ailleurs offert au judo suisse la première médaille de son histoire. l’argent dans la catégorie des -68kg.