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TendanceLe lieu de la fête, eldorado des festivals

Le Grand Central reprend sa place au cœur du festival Antigel qui débutera le 26 janvier. Un tel lieu est devenu un élément décisif dans la réussite de bien des manifestations romandes.

par
Lucas Vuilleumier
Les nuits du Grand Central du festival Antigel, au Pont-Rouge, à Lancy (GE), attirent en particulier le jeune public.

Les nuits du Grand Central du festival Antigel, au Pont-Rouge, à Lancy (GE), attirent en particulier le jeune public.

François Blin@blyo

Beaucoup s'y sont mis. Au cœur de nombreux festivals, dispersés dans les salles des villes qui les accueillent, des lieux centraux se dressent qui veulent attirer à eux tous leurs publics et cristalliser l'ambiance de la manifestation. Ils deviennent des centres névralgiques depuis lesquels le public s'éparpille ensuite, fort d'avoir foulé cette case départ, ce «foyer» où se retrouver au début ou en fin de soirée.

À l'approche d'Antigel, qui débutera le 26 janvier, un festival particulièrement disséminé dans le canton qu'il entend ainsi cartographier, les festivaliers s'apprêtent à converger pour la troisième année consécutive vers Pont-Rouge. Il y a peu, cet entrepôt appartenait encore aux CFF. Proche du Port-Franc et de la zone industrielle de la Praille, il a tout pour plaire au public contemporain, amateur de friches urbaines et de décors bétonnés. Dans la tour aménagée pour l'occasion, les amateurs des spectacles avant-gardistes proposés par la programmation d'Antigel, toujours à la pointe de ce qui se fait de plus branché en musique et en arts vivants, ne pourront donc pas éviter, dans le quartier en expansion du PAV (Praille-Acacias-Vernets), de se rencontrer dans cette cathédrale de béton qui, comme à chaque édition, sera le QG qui mène à d'autres lieux, tous plus insolites les uns que les autres, où découvrir des artistes suisses et internationaux.

L'ADN de la manifestation

Cette pratique a du bon, et présente tous les avantages. Le LUFF, festival underground des «mauvais genres» qui s'est fait la réputation prestigieuse d'aller écorner les propositions artistiques les plus nouvelles et les plus radicales, a lui aussi pris ses quartiers, dès sa première édition en 2002, au Casino de Montbenon, à Lausanne. Pareil à Fribourg avec le Belluard Bollwerk qui, depuis 1983, programme des performances dans tous les recoins de sa forteresse. Pour sa directrice Anja Dirks, qui a pris les rênes de la manifestation il y a deux ans, un lieu central est la garantie d'un festival bien identifié. «Pour le Belluard, ce lieu qui date du XVe siècle, c'est ce qui a marqué l'ADN de notre festival. Et c'est ce qui le rend reconnaissable. C'est même, dans notre cas, l'existence de ce lieu qui a poussé la volonté de ses premiers organisateurs de s'en servir afin d'en faire un lieu de création.»

Le restaurant panoramique est confié cette année à Talal Rankoussi, un grand chef syrien immigré à Genève, en collaboration avec le resto «Ou Bien Encore».

Le restaurant panoramique est confié cette année à Talal Rankoussi, un grand chef syrien immigré à Genève, en collaboration avec le resto «Ou Bien Encore».

«Et pour marquer l'identité d'un festival, pour qu'elle se fixe à un lieu, même si ce lieu change chaque année, il est de meilleur ton de se saisir d'un autre endroit que d'une banale salle communale. Pour nous, l'enjeu est ailleurs, explique Éric Linder, directeur d'Antigel. Sur les premières éditions du festival, qui n'avaient pas de lieu central, nous nous sommes fait la remarque qu'on ne connaissait pas vraiment notre public. Que les gens ne se croisaient pas. C'est là que l'idée d'un Grand Central a germé. Un endroit où converger, où échanger sur les spectacles vus dans les autres lieux.»

L'avantage, aussi, est d'attirer la jeunesse. Dans ces épicentres où l'on trouve restaurants, buvettes et inévitables points d'information, qui permettent à ceux qui n'ont pas consulté Internet d'y glaner des informations sur les spectacles, il est aussi donné de faire la fête grâce à l'offre électronique de haute qualité qui y est proposée, des DJ internationaux faisant le déplacement. «Avoir un lieu central a créé une émulation importante. Notre public s'est considérablement élargi. Et il est majoritairement jeune. Notamment grâce aux prix réduits des soirées de fête», observe Éric Linder, qui fait aussi remarquer que 20 000 personnes se sont rassemblées au Grand Central l'an passé, contre 16 000 en 2016. «Notre grande question est évidemment d'intéresser le jeune public qui n'a pas forcément la bourse pour se payer de grands concerts. La fréquentation du lieu central leur permet de se décider avant de s'offrir un spectacle plus exigeant. Mais ils peuvent aussi se contenter de venir danser à Pont-Rouge.»

Pour Julien Bodivit, directeur du LUFF, le fait d'avoir, au contraire d'Antigel, un lieu central placé lui-même au centre de Lausanne peut rassurer un public un peu frileux face à la programmation très exigeante du festival lausannois, dans lequel peu de noms connus surnagent. «Au LUFF, on fait sans cesse des découvertes artistiques, les artistes ne font pas partie de circuits connus. Les potentiels festivaliers, qui sont en grande partie étrangers, ont donc l'occasion de venir dans un lieu facile d'accès qui leur confirme ou non l'envie de rester et de creuser dans la programmation.»

De nouvelles rencontres

L'année passée, le Belluard a d'ailleurs refait le pari d'un festival hors les murs en ne proposant qu'une seule performance dans l'enceinte de la forteresse, le reste de la programmation ayant été disséminée dans d'autres lieux fribourgeois. «Pour un festival aussi attaché à son lieu central, il s'agissait vraiment d'une volonté artistique. Le fait d'être un peu itinérant et de sortir de nos habitudes a été un défi important à relever, mais dont l'ambition était de nous renouveler, confie Anja Dirks. Cet exercice radical a été l'occasion de rencontrer de nouvelles personnes et de les ramener, l'édition suivante, dans cette forteresse où nous aurons comme l'impression de rentrer à la maison.»

À Genève, les 24 jours de danse, de musique et d'arts vivants qui se préparent à vivre tour à tour au Chat Noir, à la piscine du Lignon ou au Victoria Hall n'auront pas la même saveur sans une petite visite au Grand Central de Pont-Rouge, où faire connaissance avec le visage d'un public homogène de spectateurs si différents.

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