Les grandes avancées de l'année (2/4)Le microbiote intestinal est un trésor pour la santé
La flore intestinale n'en finit pas de révéler ses vertus contre diverses maladies.
- par
- Elisabeth Gordon. Avec la collaboration de www.planetesante.ch
Le corps abrite un surprenant organe. On n'a pas conscience de son existence car, contrairement au cœur ou à l'estomac, on ne le «sent» pas et on ne peut pas le palper. Pesant entre un et deux kilos, il joue pourtant un rôle crucial dans l'équilibre des fonctions physiologiques et il est impliqué dans diverses maladies. C'est le microbiote intestinal qui, sous la loupe des chercheurs et médecins, n'en finit pas de révéler ses trésors.
Cette flore intestinale, comme on l'appelait auparavant, est constituée de 100 000 milliards de bactéries – dix fois plus que le nombre de cellules du corps! Des micro-organismes inoffensifs avec lesquels l'être humain a évolué et qui vivent en parfaite symbiose avec lui. Ce qui fait dire à Philippe Sansonetti, professeur au Collège de France à Paris et spécialiste des maladies infectieuses, que «l'homme est un hybride primate-microbe».
Ce bestiaire remplit de multiples fonctions. Il est un élément clé de la digestion des aliments – il dégrade les fibres alimentaires qui, sans lui, ne pourraient pas être digérées – et synthétise certaines vitamines. Il intervient aussi dans la maturation du système immunitaire.
Mais plus important encore, selon Philippe Sansonetti, le microbiote nous protège contre des bactéries étrangères, en particulier pathogènes. «C'est la loi du premier occupant»: grâce à ces microbes, «légitimement installés dans nos intestins, il est plus difficile pour un intrus de s'y insérer.»
Diversité des espèces
Le système digestif abrite plusieurs centaines d'espèces bactériennes dont l'équilibre et la diversité sont garants de la santé. C'est dire que lorsque l'harmonie entre les populations microbiennes est rompue, divers troubles peuvent se développer ou s'aggraver.
A commencer par l'obésité. Des chercheurs américains ont réussi à faire grossir des souris minces simplement en leur transplantant la flore intestinale de souris obèses. Preuve que les bactéries ont un impact sur la régulation du stockage des graisses dans le tissu adipeux. Chez les humains, l'analyse des matières fécales a d'ailleurs révélé que le microbiote des personnes obèses était différent de celui du reste de la population. La composition de la flore bactérienne a aussi un impact sur le développement de maladies inflammatoires chroniques de l'intestin. Chez les individus souffrant de la maladie de Crohn, on a constaté l'absence, ou la sous-représentation, de certaines espèces bactériennes ayant un rôle anti-inflammatoire. Toutefois, constate Philippe Sansonetti, «on ne sait pas si c'est l'inflammation de l'intestin qui altère la flore ou si c'est l'inverse. En revanche, il paraît acquis que le déséquilibre du microbiote entretient ces pathologies.»
Il est aussi admis que les bactéries intestinales sont indispensables à la maturation du système immunitaire des enfants. Les nouveau-nés, qui étaient stériles in utero, développent leur microbiote au cours des deux premières années de leur vie; d'abord en entrant en contact avec les bactéries maternelles à leur naissance, puis en côtoyant les microbes présents dans l'environnement. Or, avec l'hygiénisme ambiant et l'utilisation massive d'antibiotiques qui détruisent certaines populations bactériennes, «en une ou deux générations, le système immunitaire a perdu ses repères», selon Philippe Sansonetti. Le chercheur y voit l'une des causes possibles de la «flambée actuelle de pathologies comme l'eczéma, l'asthme ou la sclérose en plaques», toutes liées à des dérèglements immunitaires. Cela pourrait même expliquer l'augmentation de l'obésité, puisqu'aux Etats-Unis «on a constaté que les enfants qui ont reçu un traitement antibiotique prolongé ont un risque accru de 20% de devenir obèses».
Modification des comportements
Nichées dans les intestins, les bactéries agissent bien au-delà de notre ventre puisqu'elles peuvent même modifier les comportements de leur hôte. Si l'on croise les microbiotes d'une souris «docile» et d'une autre «agressive», la première devient belliqueuse et la seconde obéissante. «Sous la pression du microbiote, l'intestin fabrique diverses substances, notamment des hormones et des neurotransmetteurs, qui peuvent passer la barrière hémato-encéphalique», explique Philippe Sansonetti. En traversant cette membrane, ces molécules peuvent pénétrer dans le cerveau et modifier son fonctionnement. «Il n'est pas sûr qu'un tel processus puisse influencer les adultes. Mais il peut agir sur les cerveaux des bébés.» Certains chercheurs évoquent d'ailleurs déjà un lien entre le microbiote et le développement de l'autisme.
Et ce n'est qu'un début. Le décryptage récent des génomes des bactéries intestinales a donné un coup d'accélérateur aux recherches concernant le microbiote et ses implications sur la santé. Cet organe insaisissable n'a pas donc fini de faire parler de lui.