FranceLe «parcours du combattant» des mineurs migrants
Selon les derniers chiffres, 31’000 mineurs isolés étrangers ont été visés par une obligation de quitter le territoire français à leur majorité. L’affaire Laye Fodé Traoré est emblématique.

Le patron du jeune apprenti guinéen Laye Fodé Traoré avait cessé de s’alimenter depuis dix jours pour protester contre le sort de son apprenti de 18 ans.
À l’issue d’une grève de la faim très médiatisée de son patron boulanger début janvier, Laye Fodé Traoré, un jeune apprenti guinéen, a finalement été régularisé. Une affaire emblématique, estiment les défenseurs des migrants, du «parcours du combattant» en France des anciens mineurs isolés étrangers.
L’histoire de cet ancien «mineur non accompagné» sous le coup d’une expulsion à ses 18 ans, est un «cas particulier», avait jugé la ministre du Travail Elisabeth Borne. Mais pour les associations d’aide aux migrants, c’est «tout sauf un cas isolé», et cela relève «au contraire d’une politique délibérée», estime Violaine Husson, de l’association la Cimade.
S’il n’existe pas de statistiques sur le nombre d’anciens mineurs isolés étrangers – 31’000 en France selon les dernières données disponibles – visés par une obligation de quitter le territoire français (OQTF) une fois majeurs, Violaine Husson affirme que sa seule association en aide actuellement 200.
«Depuis quelques mois, on assiste à une pluie d’OQTF au jour des 18 ans, alors que légalement ils ont jusqu’à 19 ans moins un jour pour faire leur demande de titre de séjour», explique-t-elle.
Un cas «emblématique»
Pour échapper à l’expulsion, Laye Fodé Traoré a dû obtenir une double légalisation de son état civil par les autorités guinéennes. Un cas «emblématique de ce qui arrive à des milliers de jeunes majeurs isolés étrangers», ont abondé d’une même voix le Syndicat des avocats de France (SAF) et l’ADDE (Avocats pour la défense des droits des étrangers).
«C’est le parcours du combattant», résume Brigitte Bertin, avocate spécialisée dans le droit des étrangers à Besançon, où se trouve la boulangerie dans laquelle travaille le Guinéen. Tous les ex-mineurs non accompagnés ne sont pas menacés d’expulsion, reconnaissent cependant les spécialistes.
D’ailleurs, l’une des très rares catégories de l’immigration à n’avoir pas reculé à cause de la pandémie de Covid-19 en 2020 est celle des titres délivrés aux étrangers entrés mineurs sur le territoire (+8%). Ceux pris en charge après 16 ans doivent remplir plusieurs conditions: être engagés dans une formation qualifiante, ne plus avoir de lien fort et régulier avec le pays d’origine, et justifier de leur identité.
«Continuer le combat»
C’est sur ce dernier point que le bât blesse, juge Amandine Dravigny, avocate de Laye Fodé Traoré: les Africains, notamment les Guinéens, voient leur identité régulièrement contestée car ils «ne sont souvent pas déclarés à la naissance, donc en arrivant en France, ils doivent faire une demande de jugement supplétif auprès d’un tribunal de leur pays pour attester de leur identité».
Un casse-tête administratif renforcé, par exemple, par une note du ministère de l’Intérieur datée du 1er décembre 2017, consultée par l’AFP, et qui préconise de «formuler un avis défavorable pour toute analyse d’acte de naissance guinéen» en raison d’une «fraude généralisée» de l’état civil dans le pays.
Face aux barrières qui s’accumulent, la mobilisation citoyenne et patronale s’organise: les pétitions se multiplient pour qu’Amadou, Sékou ou encore Yaya, apprentis cuisiniers ou électriciens, échappent à l’expulsion. La situation actuelle relève de «l’incohérence», juge Laurent Delbos, de Forum réfugiés. «Ce sont des jeunes sur lesquels on a investi beaucoup d’argent» en les accueillant et les formant et qui se retrouvent sous le coup d’une expulsion.
Le patron boulanger de Laye, Stéphane Ravacley, veut pour sa part «continuer le combat» et appelle à une réforme pour permettre aux étrangers de terminer leur formation, quel que soit leur âge. «Ces gamins méritants, qui se lèvent à 3 heures du matin pour venir travailler à la boulangerie ou sur un chantier, qu’on les laisse vivre et travailler», peste-t-il. «Surtout si aucun autre n’est intéressé par le poste.»