Décryptage: Le pari vertigineux de l'«immunité collective»

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DécryptageLe pari vertigineux de l'«immunité collective»

Des pays européens refusent d'instaurer des isolements de masse en espérant que la population développe une immunité contre le coronavirus.

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Manifestation à Londres mardi dernier pour exiger des mesures plus fermes contre l'épidémie de coronavirus.

Manifestation à Londres mardi dernier pour exiger des mesures plus fermes contre l'épidémie de coronavirus.

Keystone

Au Royaume-Uni, le premier ministre Boris Johnson a finalement demandé lundi aux personnes âgées de s'isoler. Il a déconseillé tout contact et déplacement «non essentiel». Et il a poussé sa population à éviter les pubs, clubs ou théâtre. Mais il n'y a pas d'interdiction: des salles de spectacle, les restos ou les pubs restent ouverts. Et les rassemblement ne sont pas formellement prohibés.

A la base de ces non-décisions qui détonnent en Europe, il y aurait une stratégie nationale basée sur la notion de l'immunité collective. Une stratégie jugée risquée voire carrément irresponsable par de nombreux spécialistes.

L'idée vient des vaccinations. Lorsqu'un pourcentage élevé d'une population est vacciné, une barrière se crée. Toutes ces personnes empêchent une maladie de se propager et protègent ainsi également ceux qui ne sont pas vaccinés. La chaîne de transmission est coupée.

Quel taux atteindre?

Mais une immunité collective peut-elle s'appliquer également à une épidémie provoquée par un virus, comme c'est le cas aujourd'hui? Des experts pensent que oui. Et ils estiment que le coronavirus ne pourra plus se diffuser et que l'épidémie s'éteindra quand une majeure partie de la population aura contracté la maladie et aura guéri.

Quel taux faudrait-il atteindre? 60%? 70? 80? Plus? Différents chiffres ont circulé mais on ne le sait pas: ce sont des spéculations. Mais comme l'a par exemple relaté «Le Monde», un homme a articulé un chiffre: Patrick Vallance, le conseiller scientifique en chef du gouvernement britannique.

Ni possible ni «souhaitable»

Vendredi matin, il a expliqué la stratégie officielle de son pays dans différents médias. «Il n'est pas possible d'éviter que tout le monde attrape le virus. Et ce n'est pas non plus souhaitable, car il faut que la population acquière une certaine immunité», a-t-il exposé.

Selon lui il faudrait qu'«environ 60% de la population britannique» contracte le coronavirus pour atteindre cette fameuse immunité. Ce qui permettrait d'éviter un éventuel retour de la maladie l'hiver prochain ou un second pic.

40 millions de Britanniques...

Pour Patrick Vallance il faut donc protéger les plus faibles mais ne pas prendre des mesures trop draconiennes contre l'épidémie pour l'ensemble de la population. Car si trop de gens sont à l'abri, pas d'immunité collective.

A ce stade, calcule «Le Monde», il faut tout de même signaler que 60% de la population britannique infectée, ça fait quelque 40 millions de personnes... Et comment ralentir la progression pour que les urgences ne soient pas saturées tout en souhaitant que le virus se propage quand même? Et si le virus mutait, toute cette stratégie serait-elle ruinée?

Des actions, pas des théories

Les explications de Patrick Vallance ont en tout cas entraîné un déluge de critiques, souvent virulentes. Sur la BBC, une porte-parole de l'OMS a souligné qu'on ne connaît pas assez le nouveau coronavirus pour savoir «ce qu'il provoque en termes immunologiques». Et qu'en résumé nous sommes dans une situation d'urgence qui réclame des «actions», pas des «théories».

«Je suis abasourdie. Pour avoir discuté avec mes collègues anglais qui sont cliniciens, sur le terrain, ils sont effrayés. C'est une très mauvaise décision», a réagi sur TF1 la professeure Karine Lacombe, infectiologue et cheffe de service à l'hôpital Saint-Antoine à Paris. «Ce qui est annoncé par Boris Johnson, c'est qu'on laisse venir l'épidémie, on ne fait rien et on voit qui va rester vivant, qui meurt. C'est vraiment un pari qui, pour ma part, est complètement inentendable», a-t-elle tranché.

Rétropédalage

Face au déluge de critiques et d'effroi, le Royaume-Uni semble avoir rétropédalé et a affirmé qu'il ne suivait pas de stratégie basée sur l'immunité collective. Depuis? On ne sait plus trop. Mais toujours pas de fermetures de pubs ou de restaurants dans le pays.

A la poubelle l'immunité collective? Les annonces contradictoires de Londres ont fait couler beaucoup d'encre. Mais même si c'est passé un peu inaperçu, un autre pays européen a annoncé un cap en lien avec cette thématique: les Pays-Bas.

«Il n'y a pas de message facile pour vous»

Dimanche, le gouvernement néerlandais, a ordonné la fermeture des écoles, bars, restaurants, magasins non nécessaires. Comme ailleurs. Mais il a déjà annoncé qu'il n'entendait pas aller plus loin.

Le Premier ministre néerlandais Mark Rutte l'a déclaré lundi dans une allocution grave et solennelle. «Il n'y a pas de message facile pour vous ce soir. La réalité est qu'une grande partie de la population néerlandaise sera infectée par le coronavirus», a-t-il lancé.

Pas de confinement total

Puis il a expliqué vouloir favoriser le développement d'une immunité collective aux Pays-Bas. Comment? En excluant un confinement total de la population comme il en existe en Italie et comme l'envisagent de nombreux pays européens.

«Dans ce scénario, nous devrions fermer notre pays pendant un an ou même plus, avec toutes les conséquences que cela implique», a-t-il détaillé. Ajoutant que le virus «pourrait réapparaître immédiatement si les mesures étaient retirées».

On le voit, les gouvernements et autorité sanitaires sont face à des choix cruciaux. Aux conséquences aussi lourdes que difficiles à prévoir.

Renaud Michiels

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