JO de RioLe perfectionniste Gisiger lorgne déjà Tokyo
Le coach biennois de l'équipe de Suisse de cyclisme sur piste était affecté, vendredi, par la décevante performance de son équipe de poursuite. Mais il ne renoncera pas à l'aventure. Portrait.
- par
- Oliver Dufour
- Rio de Janeiro

Perfectionniste, Daniel Gisiger vise déjà Tokyo.
Les yeux humides, Daniel Gisiger livre sa première analyse, à chaud, sur la performance réalisée par ses poursuiteurs sur la piste du vélodrome olympique de Rio de Janeiro.
Le Biennois de 61 ans aurait espéré une place dans la «finale» pour la 5e place. Il n'aura finalement obtenu «que» le 7e rang, devant une formation chinoise peu en jambes et un quatuor néerlandais éliminé sur chute dès le stade des qualifications, la veille.
Forcément, l'ancien coureur des années 1970-80 est déçu. «Je ne suis pas content de nos deux premières manches, qui n'ont pas donné une belle image du projet. Je suis déçu pour tous ceux qui nous ont soutenu et cru en nous, pour la fédération et pour Swiss Olympic. On avait quand même beaucoup de moyens à disposition pour préparer le rendez-vous.»
Pourtant, le natif de Baccarat, en Meurthe-et-Moselle (F), qui maîtrise aussi à la perfection l'art du suisse-allemand, connaissait mieux que quiconque l'ampleur de la tâche incombant à la première équipe de poursuite helvétique présente aux Jeux olympiques depuis 32 ans.
A force de raboter le record de Suisse avec son groupe au cours des dernières années, de passer sous la fatidique barrière des 4 minutes – celle qui sépare l'élite des débutants – pour établir la référence helvétique à 3'56''791 en octobre dernier à Granges (SO), titre de vice-champions d'Europe à la clé, on avait commencé à s'habituer aux exploits.
«Nadal à la table d'à-côté, ça déconcentre»
Daniel Gisiger, lui, savait combien la mission Rio 2016 serait ardue. Avant-même qu'il ne perde au combat Stefan Küng, à l'heure actuelle l'un des meilleurs poursuiteurs individuels du monde.
«On ne peut pas toujours dire qu'il manque Stefan et s'en servir comme seule excuse. Je crois que tout le monde ici n'était pas au niveau où il devait être.» Le coach seelandais avait bien tenté de maintenir ses troupes unies et concentrées, pour ne pas qu'elles cèdent aux sirènes riches en distractions du grand raout olympique.
Il aurait préféré que ses coureurs évitent la cérémonie d'ouverture, une semaine avant leur entrée en lice. Ils ont choisi de ne pas l'écouter et de se rendre quand même au Maracana.
«Les JO sont quelque chose de spécial que les coureurs n'ont jamais vécu, donc il y a des choses qui perturbent. Lorsqu'on mange à une table et que Rafael Nadal et d'autres sportifs qui font la couverture de tous les magazines sont juste à côté, on ne se concentre pas sur sa course. ».
Gisiger aurait voulu travailler davantage sur piste avec son groupe. Certains coureurs ont choisi de consacrer du temps aussi à la route, où, en Suisse, on peut espérer gagner sa vie, contrairement à la piste.
C'était notamment le cas de Silvan Dillier, qui a confirmé avoir disputé sa dernière course sur piste, et de Frank Pasche, nommé surnuméraire car en moins bonne forme que ses coéquipiers.
«Pour quelqu'un comme Silvan ce n'était pas évident, relève Gisiger. Il préparait sa Vuelta (ndlr: le Tour d'Espagne sur route, qui démarre le week-end prochain), il y pensait beaucoup. Il est payé par son équipe BMC pour y courir, pas par nous. C'est un peu compréhensible qu'il s'investisse, mais c'est aussi compréhensible que ça énerve un peu les autres. Ça a peut-être un peu enlevé à notre esprit de solidarité, à notre homogénéité. Mais ceux qui critiquent n'étaient pas non plus à la hauteur. Silvan manquait certainement un peu de souplesse, mais il a fait une belle saison et on était contents qu'il ait répondu présent, même si on attendait un peu plus, il ne faut pas s'en cacher.»
Préparer le matériel plutôt que de courir les honneurs
Considéré par ses athlètes comme un père bienveillant, l'entraîneur biennois n'a pas manqué d'accepter sa part de responsabilité pour cette aventure olympique en deçà des attentes.
«Elle incombe aussi à l'entraîneur que je suis, donc j'endosse la responsabilité de ces premiers Jeux.» Les regrets ne dureront pas trop longtemps, toutefois. Acharné du détail, Daniel Gisiger évoque déjà les réflexions à mener pour corriger le tir et mettre le doigt sur ce qui n'a pas fonctionné.
Comme lorsqu'il était arrivé trop tard à une cérémonie organisée à Lausanne par la Commission des vélodromes romands, quelques semaines avant le départ au Brésil, en l'honneur des nombreux coureurs vaudois de sa bande. Le Biennois avait préféré prendre tout le temps nécessaire au choix des bons boyaux, à Granges, pour préparer au mieux le matériel olympique, avant de prendre la route jusque sur les rives du Léman.
«Sur une épreuve à l'étranger, Daniel est toujours le premier à partir en éclaireur pour repérer le supermarché le plus proche, afin d'y acheter un piquenique à partager avec ses coureurs», saluait Max Weber, secrétaire PV de cette commission.
Lorsqu'il était coureur, c'était lui le comptable de l'équipe. Sur route, il calculait tous les délais de ses coéquipiers, pour savoir s'ils pouvaient repartir en course le lendemain, raconte Weber, par ailleurs ancien président de l'Union cycliste suisse et ex-speaker du Tour de Romandie. Et c'est lui aussi Daniel qui calculait le montant des primes à distribuer parmi tous les coureurs de l'équipe. Ou qui allait réclamer l'argent si l'organisation avait le malheur de l'oublier!»
A Tokyo avec la relève et Stefan Küng
Désormais, les yeux du perfectionniste seront braqués sur les Jeux de Tokyo, dans quatre ans. «Certains coureurs vont poursuivre dans ce projet, ils auront cette expérience olympique. Et puis on a une bonne équipe de jeunes qui arrive, avec un champion du monde junior (ndlr: Stefan Bissegger, en poursuite individuelle) dans le groupe.
On va essayer de préparer Tokyo comme il faut en tirant les enseignements de ces Jeux de Rio. Et pourquoi ne pas, dans les derniers mois qui précéderont la compétition, essayer de remotiver Stefan Küng pour qu'il nous rejoigne si on est performants. C'est vrai, je ne suis pas tout jeune et j'ai mis beaucoup d'énergie dans ce projet. Mais j'espère continuer jusqu'en 2020 et qu'on nous soutiendra toujours.»