JeuxLe poker va sortir de la clandestinité
Les adeptes des tournois de poker hors casinos ne seront bientôt plus des criminels. Le Parlement veut réglementer la pratique. Les milieux de la prévention satisfaits.
- par
- Lise Bailat

On pourra bientôt jouer au poker entre amis en toute légalité.
«Maintenant, il faut aller vite, parce que des centaines de milliers de personnes veulent jouer au poker en Suisse et que des clubs se trouvent au bord de la faillite!» Lukas Reimann (UDC/SG) ne lâche pas la pression. Le jeune conseiller national, qui vient de fêter ses 30 ans, est à l'origine de la légalisation des tournois de poker hors des casinos, approuvée hier par le Conseil national après que le Conseil des Etats a donné son feu vert. «Ce jeu est très populaire auprès des jeunes. Ce que je trouve dangereux, ce sont les jeux en ligne. Mais nous voulons promouvoir les tournois réels, où les risques de dépendance seront moindres. Nous ne parlons que de petits tournois et de petites mises», précise-t-il. Et d'enjoindre la conseillère fédérale Simonetta Sommaruga à présenter une loi dans les plus brefs délais.
Fait plutôt rare, l'UDC Lukas Reimann est rejoint dans son argumentaire par le jeune socialiste Mathias Reynard (PS/VS), également joueur occasionnel avec ses amis. «Je suis critique et sceptique par rapport au poker sur Internet, où l'on rencontre un problème d'addiction et d'endettement. Mais le vrai poker, c'est un peu comme le jass, je retiens son côté social.» Et il y a les conditions. Le Conseil fédéral est chargé de rédiger une loi qui tienne compte de plusieurs points précis (voir l'encadré), notamment au niveau de la mise. «Le texte initial parlait d'une mise de 100 francs au maximum. Je trouve que c'est bien. Au casino, les mises de départ sont élevées et, il faut être honnête, jouer au poker sans aucune mise, ça ne tient pas la route», estime Mathias Reynard.
On aurait pu imaginer que cette autorisation des tournois de poker soit une épine dans le pied des milieux de la prévention. Mais pas du tout. «Notre position est très claire au sujet des tournois de poker hors casinos: nous estimons qu'il est plus responsable de réglementer que d'interdire. Il s'agit d'être pragmatique», affirme Jean-Félix Savary, le secrétaire général du Groupement romand d'étude des addictions. Cette position vient d'observations faites sur le terrain. «Jusqu'en 2010, les tournois de poker étaient autorisés, puis cette disposition a été contredite par le Tribunal fédéral. Or il y avait jusque-là une collaboration positive entre les organisateurs des tournois et les milieux de la prévention. Depuis 2010, on entend souvent dire que les marchés du poker se sont détériorés avec, entre autres conséquences, des violences et la présence de réseaux criminels», poursuit Jean-Félix Savary.
«On ne règle rien»
Plus sceptique sur le fond, le président du PDC Suisse et président de la Fédération suisse des casinos, Christophe Darbellay, évoque une certaine schizophrénie dans les actes du Parlement. «On ne règle rien avec cette motion. On légalise un état de fait sans se préoccuper beaucoup des conséquences sociales. Les casinos sont très contrôlés et régulés. Le Parlement l'a voulu ainsi. Du moment que ces tournois de poker servent à faire du business, il faudra donc les soumettre aux mêmes règles.» C'est à ce niveau-là que le débat s'annonce le plus chaud. Et les conditions déjà citées ne simplifieront pas la tâche de Simonetta Sommaruga. La ministre a reconnu hier à la tribune que «le Conseil fédéral aurait préféré ne pas avoir les mains liées».