Analyse: Le populisme européen pourrait pâtir du drame migratoire

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AnalyseLe populisme européen pourrait pâtir du drame migratoire

Le drame actuel des migrants pourrait se retourner à court terme contre les formations de droite populistes anti-immigration en Europe de l'Ouest, estiment deux experts.

Cette image a été prise en Grèce le 7 septembre 2015.

Cette image a été prise en Grèce le 7 septembre 2015.

AFP

«On a atteint un tel niveau de drame humanitaire que le potentiel existe pour un retournement», pense le politologue suisse Pascal Sciarini, de l'Université de Genève.

«Ça va desservir les partis d'extrême droite», considère Vincent Chetail, professeur à l'Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID) et spécialiste de la migration.

Pour lui, «on peut se réjouir d'une prise de conscience, quoique tardive, de l'opinion publique», grâce aux médias qui ont publié la photo d'un enfant syrien mort sur une plage en Turquie. «Des médias qui avaient pendant longtemps présumé une attitude anti-migrants de cette opinion publique», dit-il.

Un peu partout en Europe

Cette modification se constate un peu partout en Europe de l'Ouest, ajoute M. Chetail. «On voit des mouvements spontanés, populaires, de soutien, des initiatives pour accueillir des migrants à titre personnel».

«La crise en tant que telle n'est pas foncièrement nouvelle, la seule différence, c'est le nombre», souligne-t-il. «Mais l'aspect innovant, c'est une sorte de ferveur en faveur des réfugiés, qui a pris de l'ampleur».

L'UDC a mis la sourdine sur l'asile

En Suisse, «on a beaucoup moins entendu l'UDC ces derniers temps sur l'asile que précédemment», relève Pascal Sciarini. «Et si on l'a entendue, c'est avec un discours un peu différent. Sinon, j'ai surtout vu un profil bas de sa part, et on pourrait imaginer cet effet-là au niveau plus large, européen».

La situation migratoire pourrait nuire à l'UDC pour les élections fédérales, considère le politologue. «Soit l'UDC va moins parler d'asile, soit on va en parler autant mais plus en des termes de solidarité. Dans les deux cas, ce n'est pas bon pour l'UDC».

D'abord des victimes

Pour Vincent Chetail, «cette crise a un mérite pédagogique, qui est de rappeler que ces personnes sont des victimes qui fuient la guerre et la persécution (...) Elles ne sont plus vues comme des profiteurs ou des terroristes en puissance comme essaient de le véhiculer les partis d'extrême droite. On assiste à un renversement conceptuel.»

Même en France, où la situation économique n'est pas bonne, «on sent le changement avec les différentes manifestations de ce week-end, avec les nombreuses personnes qui se renseignent pour héberger des migrants. On constate le même mouvement qu'en Allemagne, bien que plus tardivement».

Front national en France

«Je pense que ça va nuire au Front national, parce qu'on n'a plus un seul discours vis-à-vis des étrangers. L'étranger n'est plus l'otage des partis d'extrême droite, il fait partie du débat public et pas nécessairement dans un sens péjoratif. On ajoute de la complexité, de la subtilité, et ça change nécessairement la donne politique.»

Pareil au Royaume-Uni, «où le discours anti-réfugiés était pendant des années au coeur de toutes les élections», souligne Vincent Chetail. «Le fait que le premier ministre britannique David Cameron ait accepté l'idée qu'il faille accueillir des réfugiés est en soit une vraie révolution des idées», n'hésite-t-il pas à dire.

Gauche pas nécessairement gagnante

«Vu comme le cadrage de l'enjeu migratoire se modifie, c'est clair que le vent tourne en faveur de la gauche», estime Pascal Sciarini. «Mais est-ce que ça aura un effet durable dans les semaines à venir? Je ne suis pas madame Soleil».

Pour Vincent Cheteil, cette vague de sympathie auquel on assiste transcende la distinction gauche-droite. «Ça portera préjudice à l'extrême droite dans de nombreux pays, mais je ne suis pas certain que ça profitera nécessairement à la gauche», dit-il.

Evolution difficile à prédire

Quant à savoir si cela va faire changer durablement les choses, les deux experts restent prudents.

Pour Pascal Sciarini, «ça va dépendre de l'évolution de la situation dans les Etats concernés». «Si le caractère dramatique des migrations s'atténue et que ça devient un problème d'intégration ensuite dans les pays, on pourrait retomber sur un problème de surpopulation étrangère, avec la question des chômeurs nationaux, etc. C'est difficile à dire à ce stade».

(ats)

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