Jura: Le premier réfugié politique suisse s'est éteint en Espagne

Actualisé

JuraLe premier réfugié politique suisse s'est éteint en Espagne

L'activiste Marcel Boillat est décédé à 90 ans, en exil prolongé, loin de ses amis jurassiens. «C'était un sacré battant», témoigne son frère de sang Jean-Marc Baume.

par
lematin.ch
1 / 4
Lors de son retour en 1987, à la Fête du Peuple jurassien, avec Jean-Marc-Baume (à dr.).

Lors de son retour en 1987, à la Fête du Peuple jurassien, avec Jean-Marc-Baume (à dr.).

DR
Soirée fondue chez lui en Espagne: Marcel Boillat en bleu et Jean-Marc Baume en vert.

Soirée fondue chez lui en Espagne: Marcel Boillat en bleu et Jean-Marc Baume en vert.

DR
Le 23 juin 2018 chez lui, avec ses soutiens Jean-Marc Baume (à dr.) et Olivier Baume (à g.)

Le 23 juin 2018 chez lui, avec ses soutiens Jean-Marc Baume (à dr.) et Olivier Baume (à g.)

DR

Le canton du Jura existerait-il sans la violence de son combat? L'activiste Marcel Boillat est mort à 90 ans dans un hôpital espagnol, dans la nuit de dimanche à lundi. Il passait pour le premier réfugié politique suisse, en exil dans l'Espagne de Franco où il a obtenu l'asile, le second étant Jean-Baptiste Hennin du 2e FLJ, réfugié dans la France de de Gaulle. «C'était un battant», témoigne son frère de sang Jean-Marc Baume, ancien animateur du groupe Bélier. Marcel Boillat était le chef du Front de libération du Jura (FLJ), un mouvement clandestin fondé dans les années 60 avec Jean-Marie Joset et le Vaudois Pierre Dériaz, qui servait de chauffeur. Le trio a mené des actions violentes pour la création d'un nouveau canton et contre l'implantation d'une place d'armes.

Incendié deux fermes

Les trois hommes ont vandalisé des panneaux routiers et plastiqué des ouvrages militaires. Entre 1962 et 1964, ils ont commis des attentats à l'explosif contre la scierie d'un conseiller national de Malleray, une banque bernoise de Delémont, une voie ferrée à Studen... Ils ont surtout incendié deux fermes acquises par le l'État de Berne en faveur de l'armée.

Arrêté en 1964, Marcel Boillat a été condamné deux ans plus tard à huit ans de prison. En 1967, l'activiste s'est évadé du pénitencier de Crêtelongue (VS), choisissant l'exil. Il est revenu dans le Jura vingt ans plus tard, une fois sa condamnation prescrite, pour la 40e Fête du peuple jurassien.

«Le Terroriste suisse»

Sa fille s'est établie à Lausanne, son fils à Winterthour. L'ancien «terroriste »a profité de sa retraite espagnole pour jouer du piano et s'adonner à la peinture. Ses huiles ont été présentées au Noirmont en 2014.

Celui qui lui téléphonait tous les dimanches, l'invitait aux Franches-Montagnes à l'arrière-saison, lui rendait visite une ou deux fois par an depuis 40 ans, qui prenait soin de lui avec l'appui de deux industriels, c'est Jean-Marc Baume, un militant devenu facteur.

Un sacré battant

«Je partage tout de son combat. C'est un frère que j'ai perdu. Un frère de sang», dit sans ambages Jean-Marc Baume, qui était son confident. «C'était un sacré battant, également dans sa vie professionnelle», reprend cet ami fidèle, pour qui la vie de Marcel Boillat n'a pas de secret.

Marcel Boillat a tout sacrifié pour son idéal. L'exilé a d'abord vécu clandestinement à Madrid, y a même été emprisonné. Puis il s'est établi à Daimiel, avec sa seconde épouse. «Il a commencé par creuser les égouts en Espagne, à une époque où les Espagnols cherchaient du travail en Suisse», rapporte Jean-Marc Baume.

«Employé dans une entreprise de maçonnerie avant de travailler dans le commerce, il a sauvé un homme qui allait se faire écraser par un camion, ce qui lui a valu un buste dans sa commune», rapporte son meilleur ami.

Dire au revoir

«Mon regret, c'est de ne pas avoir pu lui dire au revoir», soupire Jean-Marc Baume. Les deux hommes se sont téléphoné le 29 mars dernier: «Il était tombé du lit et peinait à s'exprimer. J'ai pris ça pour une crise de diabète et on a parlé vacances...», rapporte l'ancien Bélier. Dimanche dernier, sa gouvernante annonçait son hospitalisation, en plein coronavirus. «C'est le diabète qui l'a emporté à l'usure, pas le virus», précise son ami.

«Dans le Jura, des entrepreneurs l'ont soutenu, mais aucun ministre ne lui a tendu la main. Quand il a exposé ses tableaux en 2014, le canton n'a pas jugé bon d'acheter une toile pour sa collection», regrette Jean-Marc Baume.

Un hommage est-il prévu? «On ne va pas le laisser tomber», assène Jean-Marc Baume. Mais ce sera après la pandémie. Si Marcel Boillat est un héros pour l'ancien chef du groupe Bélier, dans le camp adverse, il n'est qu'un terroriste pour l'ancien chef du groupe Sanglier Guillaume-Albert Houriet.

Vincent Donzé

Ton opinion