Le «tueur de l'État doré» trahi par l'ADN familial
Un meurtrier et violeur en série a pu être confondu trente-deux ans après ses crimes grâce à des recherches sur des sites généalogiques.
- par
- Michel Pralong
Mardi, en sortant de sa maison de Citrus Heights, à Sacramento, Joseph James DeAngelo est tombé des nues. Des policiers l'attendaient pour l'arrêter. À 72 ans, il n'imaginait pas une seconde qu'il pourrait encore être démasqué, trente-deux ans après le dernier de sa longue série de meurtres et de viols. Durant tout ce temps, la police n'a pourtant pas ménagé ses efforts pour coincer celui qu'on a surnommé le «violeur de la région est» («The East Area Rapist») ou aussi le «tueur de l'État doré» («The Golden State Killer»).
La police disposait pourtant d'ADN prélevé sur plusieurs scènes de crime, ce qui avait permis d'attribuer ces méfaits à une seule et même personne. Mais aucune correspondance n'avait été trouvée dans les bases de données.
En 2014, un autre violeur en série avait été confondu par la même police de Sacramento. L'ADN retrouvé sur des victimes n'était pas recensé dans les bases, mais la police a alors décidé de ne rechercher qu'une correspondance partielle. Cela l'a mené à un homme en prison, dont le frère s'est révélé être le violeur. La Californie a été le premier État à autoriser la recherche d'ADN familial dans le cadre d'enquête de police, en 2008. Malgré les inquiétudes de défenseurs de la vie privée, huit autres États ont suivi depuis.
Traqué sur Genealogy.com
Une telle recherche n'a rien donné dans le cadre de la traque du «Golden State Killer». Mais la police de Sacramento a alors eu une idée de génie… génétique. Elle a carrément fait comparer l'ADN du «Golden State Killer» par des sites généalogiques privés, comme Ancestry ou Genealogy. Il s'agit de banques de données contenant des millions de profils ADN. Chaque client qui veut en savoir plus sur son arbre généalogique, son ethnie, voire les risques médicaux héréditaires qu'il encoure, envoie son échantillon d'ADN. La police a transmis celui du tueur et obtenu des arbres généalogiques auxquels le coupable pouvait appartenir. Un travail de fourmi a permis de vérifier des centaines de profils, jusqu'à tomber sur celui de Joseph James DeAngelo. Il avait un âge qui lui permettait d'avoir été le tueur et, surtout, ses domiciles successifs se situaient tous proches des scènes de crimes.
La police a donc entamé une surveillance de ce vétéran du Vietnam devenu policier, avant d'être viré en 1979 pour vol à l'étalage. Cette filature a permis de recueillir un échantillon de son ADN. Deux comparaisons avec celui du tueur effectuées vendredi et lundi derniers ont convaincu la procureure Anne Marie Schubert qu'elle tenait son homme. Elle a donc délivré son mandat d'arrêt.
Impossible en Suisse
En Suisse, la police ne pourrait pas effectuer la même démarche qu'en Californie. «La loi sur les profils d'ADN fixe une barrière stricte entre les bases de données judiciaires et les autres bases de données, explique le Dr Vincent Castella, généticien forensique au Centre universitaire romand de médecine légale. Mais la technologie évolue beaucoup plus vite que la loi. Celle sur les profils ADN date du début des années 2000. Il n'était pas possible d'anticiper tous les développements des dernières années.» Ainsi, la recherche d'ADN familial, comme la Californie la pratique, est autorisée en Suisse depuis une décision du Tribunal fédéral en 2015, alors que la police fédérale s'y opposait. «Une révision de la loi est en cours et devrait aussi autoriser dans quelques années l'utilisation d'ADN pour réaliser des sortes de portraits-robots. Il me semble important de définir au préalable un cadre afin de protéger les droits des individus et de prévenir les mauvais usages.»