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L'interview indiscrète«Le Viagra, je ne connais pas!»

Toujours vert, et avant de venir à Genève le 18 mars, le chanteur Hugues Aufray, 85 ans, nous dit tout de ses passions et de ses amours.

Propos recueillis par Didier Dana
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Propos recueillis par Didier Dana

Quelle vie et quelle vivacité. Hugues Aufray, 85 ans, est un artiste, complet. Musicien, peintre, sculpteur, comédien, c'est un vrai passionné de la vie. Il se livre, ici, sans filtre, sur ses amours, ses drames et ses envies.

Hugues Aufray, qui êtes-vous?

Je suis un Français issu d'une longue lignée. Du côté de ma mère, depuis le XIIe siècle. Le XVIe du côté de mon père. Je suis chrétien, je tiens à le dire. Troubadour par hasard et par nécessité.

Tout premier souvenir?

Je me souviens d'une douce présence féminine d'une grande beauté. Une nurse de 20 ans, Catherine, que j'appelais Kaki. Le jour de son départ ce fut un drame. Elle me considérait comme son enfant.

Vous aviez failli mourir…

Maman ne pouvait pas m'allaiter. On m'a donné du lait de vache, ce qui a provoqué une dysenterie et un début de déshydratation, mortel chez les nourrissons. Le professeur Debré m'a sauvé en me donnant du babeurre.

Avez-vous revu Kaki?

Elle m'a envoyé une véritable lettre d'amour un jour. Cette missive a disparu et je n'ai jamais pu lui répondre. J'en ai été désespéré.

Enfant de quoi aviez-vous peur?

De tout. J'étais très peureux. Lorsque mes parents ont divorcé, vers 10 ans, mon frère aîné, Francesco alias Kako, m'a guidé. Le soir, on regardait sous le sommier avant de se coucher.

Quel fut votre plus grand choc?

Sa mort, à l'âge 27 ans. Il s'est suicidé. C'est le drame de ma vie. Il serait devenu une star mondiale. Il avait une voix d'opéra exceptionnelle. Il avait tout pour réussir. Mais une Ferrari, c'est plus fragile qu'une 2 CV. Lui était une Ferrari.

Votre mère vous disait-elle «je t'aime»?

C'était réservé à l'intimité du couple. Aujourd'hui, je dis je t'aime à mes petits-enfants américains qui me déclarent: «Pépé I love you!»

Votre tout premier argent?

Comme professionnel, en 1948, à Saint-Germain-des-Prés. Je me baladais avec une guitare. J'avais 18 ans, j'ai chanté pour un anniversaire. Mon dernier album s'intitule «Troubador since 1948».

Que vouliez-vous devenir?

De 12 à 15 ans, peintre et sculpteur. Mon père m'a dit: «Les Beaux-Arts, pas question.» Puis j'ai voulu m'engager dans l'armée afin de mourir après un chagrin d'amour. Ce n'est que par hasard et par nécessité que je suis devenu celui que je suis aujourd'hui, chanteur.

L'amour, la première fois?

Mon grand premier amour, c'est Elena, au Lycée de Madrid. Ma première émotion pour une fille, ce fut avec Leslie Caron, devenue comédienne. Elle avait 7 ans et moi 8.

Le vrai bonheur?

Il n'y a rien de plus beau que le sourire d'un enfant dans les bras de sa mère. Si en plus on est à l'origine de ce sourire, c'est encore mieux. L'image du bonheur, c'est la maternité.

Quelle est la plus belle de vos qualités?

L'altruisme. Je corresponds au Lion Vierge, mon signe astral.

Votre plus grand regret?

Dans une vie parfaite, j'aurais été sculpteur. J'ai rencontré Martin Luther King, Maurice Chevalier qui m'a emmené aux Etats-Unis, Bob Dylan, Dina Vierny, le dernier modèle du sculpteur Aristide Maillol. C'est elle qui m'a poussé, à 70 ans, à me mettre à la sculpture. Mais je n'ai pas connu Mandela, Sœur Teresa ou Sinatra. C'est un regret.

Avez-vous déjà volé?

A 16 ans, je peins. C'est vital. Et je vis chez ma grand-mère. Un jour, dans un grand magasin, je vais acheter des tubes et je ne trouve pas le vendeur. J'avais très peu d'argent. Tant pis, je sors sans payer avec les tubes et la main du destin m'attrape par l'épaule. Le commissaire chez qui m'amène alors le surveillant s'intéresse à moi. Il vient voir les tableaux, ne dit rien à ma grand-mère, et dit: «Mon petit, continue à peindre, mais arrête de voler.» Il faisait de la peinture lui-même. C'est mon point commun avec Brassens. Il avait commis un petit vol dans le sac de sa grand-mère. Son père a eu si honte qu'il l'a envoyé à Paris. Il a été ouvrier chez Renault, l'atelier a été détruit par les bombardements. Il est resté chez sa tante et il est devenu chanteur.

Avez-vous déjà tué?

Des lapins défigurés par la myxomatose.

Si vous aviez le permis de tuer quelqu'un, qui serait-ce?

J'ai vu un reportage sur un criminel condamné à la prison à vie. Il disait: «Je n'ai qu'une seule envie: mourir.» On lui administrait des calmants. Lui était obsédé par l'idée de se suicider, mais il ne pouvait pas. Tuer quelqu'un? Oui, mais pour le soulager lui et la société.

Avez-vous déjà payé pour l'amour?

Très jeune. Ma première expérience, c'est une fille de la rue, vers le métro Saint-Paul. J'ai pensé à elle en écrivant une chanson sur le sujet. On ne couchait pas facilement avec les filles à l'époque.

Avez-vous déjà menti à la personne qui partage votre vie? Vous êtes marié, mais vivez avec une maîtresse officielle.

Lorsqu'on écrira ma bio, après ma mort, je passerai pour un type honnête ou un salaud. Nos horloges biologiques, entre hommes et femmes, ne sont pas les mêmes. Le Viagra, je ne connais pas! Je suis toujours marié avec la femme que j'ai connue à 20 ans. Elle ne peut pas me suivre. Je suis un homme normal, avec une activité professionnelle importante et donc, c'est vrai, j'ai une jeune compagne. Je ne mens ni à l'une ni à l'autre. J'ai la conscience tranquille.

Avec qui aimeriez-vous passer une agréable soirée?

Les gens de ma famille dispersée entre Dublin et les Etats-Unis. Je suis père, grand-père et arrière-grand-père.

Qui trouvez-vous sexy?

Isabelle Adjani, Marilyn Monroe et Silvana Mangano.

De quoi souffrez-vous?

Avec l'âge, on dort moins. Je ne lis que des livres de sciences et d'histoire et je m'aperçois qu'il y a beaucoup de mensonges dans les dogmes et les opinions, ce que je ne supporte pas. Dire la vérité me soulage.

Avez-vous déjà frôlé la mort?

Oui dans une télécabine avec 45 personnes. Je suis sorti le dernier. Une minute après, elle est tombée dans le vide.

Croyez-vous en Dieu?

Absolument. Le mystère de la Création tourmente l'humain depuis toujours. Louis Pasteur a dit: «Un peu de science éloigne de Dieu, mais beaucoup y ramène.» Tous les matins, je regarde le ciel et je pense: «Merci mon Dieu d'être en vie». Chacun de nous a une parcelle divine en lui. «Je suis le fils de Dieu» a dit le Christ. Nous ne serions que des hommes? Je n'en suis pas sûr.

Quel est votre péché mignon?

Je suis gourmand de la vie. Je préfère manger un sandwich au saucisson avec un type sympa plutôt que d'aller dans un restaurant gastronomique avec des gens qui m'emmerdent.

Trois objets culturels à emmener sur une île déserte?

Les «Variations Goldberg» de Bach par Glenn Gould, le film les «Blues Brothers» et une encyclopédie. Je ne lis jamais de romans.

Combien gagnez-vous par an?

C'est irrégulier. Je n'ai pas d'argent à la banque en capital. Je travaille et j'ai une belle maison à Marnes-la-Coquette et une propriété en Ardèche. J'ai fait 4 ou 5 faillites dans ma vie. Mes associés sont partis avec la caisse. Grâce à ça, je ne suis pas riche.

Qui sont vos vrais amis?

Johnny, Coluche autrefois et Renaud. Depuis 10 ans, d'autres le sont devenus, en dehors du milieu artistique.

Que souhaitez-vous à vos pires ennemis?

Que leurs yeux et leurs oreilles s'ouvrent. Qu'ils voient la même vérité que moi. Moi, je crois aux faits. C'est dans l'interprétation des faits que les gens se séparent.

Qui aimeriez-vous voir répondre à ce questionnaire?

Jean Reno. Il m'a demandé si l'expérience au cinéma dans «Avis de Mistral» m'avait plu. Je lui ai dit oui. J'avais gardé un souvenir affreux du tournage avec Henri-Georges Clouzot. Nous avions été violentés psychologiquement. Clouzot qui était un voyou insultait les acteurs. Je ne l'ai pas accepté et j'ai quitté le film avec Brigitte Bardot, «La Vérité», dont j'avais le rôle principal. J'ai eu tort. Tous les réalisateurs ne sont pas comme lui. Aujourd'hui, je me dis: «Ah, si j'avais tourné 5 films». Il est un peu tard et en même temps, il n'est jamais trop tard.

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