AutricheLes alpages typiques du Tyrol pourraient disparaître
Hausse des températures, sécheresse, manque de rentabilité: selon les statistiques officielles, plus de 1250 pâturages ont disparu en près de 20 ans en Autriche.
Culotte de peau et bâton de bouvier, le patriarche Sepp Rieser décore ses vaches tyroliennes, prêtes à regagner leur étable après avoir passé l’été dans les alpages. Cette tradition pourrait toutefois s’éteindre sur fond de réchauffement climatique.
Hausse des températures, sécheresse, manque de rentabilité: selon les statistiques officielles, plus de 1250 pâturages ont disparu en près de 20 ans en Autriche, où la transhumance est une coutume ancestrale, comme dans les massifs suisses, italiens et français.
«C’est jour de fête ici au village de Pertisau, le troisième vendredi de septembre. On ramène toujours le bétail en vallée. Je fais cela depuis que je suis petit», explique Sepp Rieser à l’AFP à 1267 mètres d’altitude, dans un décor idyllique de montagnes, où l’herbe est grasse.

Le propriétaire d’un troupeau regarde les vaches décorées avec des cloches et des fleurs avant de quitter leurs pâturages d’été lors de la cérémonie annuelle de collecte de bétail (Almabtrieb), le 18 septembre 2020 à Gramai-Alm dans le parc naturel alpin du Karwendel au Tyrol.
Suzie, Rebecca, Verena… Au coeur de la réserve naturelle du parc alpin de Karwendel, ses 90 vaches laitières blanches et rousses sont coiffées d’une couronne de fleurs et de sapin encadrant des images pieuses représentant Jésus ou la Vierge Marie. Sur leur licol noir sont gravées les initiales de leur propriétaire et trois édelweiss.
Rituel immuable
«Nous avons besoin du tout-puissant pour la protection des hommes et de nos animaux, pour l’alpage», estime le fermier catholique, avant de lancer son troupeau sur le chemin accidenté reliant l’alpage de Gramai-Alm à la commune, idéalement située au bord d’un lac azuréen.
Cet écosystème fragile à protéger, «c’est notre richesse au Tyrol: il faut que le bétail fasse de l’exercice, qu’il entretienne les paysages», énonce-t-il.
Rien ne semble pouvoir perturber le rituel immuable, inscrit au patrimoine immatériel de l’humanité par l’UNESCO en 2019. Et pourtant, le vacher qui veille sur les bêtes depuis dix ans, Gottfried Brunner, voit que «l’été arrive plus tôt» et que «la végétation monte plus haut».
En 2019, il a fait 8,5 degrés en moyenne en Autriche, soit 1,6 degré de plus qu’entre 1981 et 2010. Depuis 2011, toutes les années se situent au-dessus de cette valeur standard de 6,9 degrés, ce qui indique un profond changement.
«On ne peut pas le nier», déplore Sepp Rieser. «On le constate dès aujourd’hui. On a des précipitations beaucoup plus intenses, une pluie continue, explosive. Et puis à nouveau, il y a la chaleur extrême qui revient».
Embroussaillement
L’organisation non gouvernementale Greenpeace alarme depuis longtemps l’opinion publique sur la rapidité du phénomène. «S’il fait chaud sur une plus large période, la végétation devient trop importante pour les vaches», explique l’experte du climat originaire du Tyrol Jasmin Duregger, alors que débroussailler les alpages à la main sur des terrains accidentés représente un coût supplémentaire pour les éleveurs.
«Les herbes disparaissent au profit des arbustes, ce qui se traduit par un recul de la biodiversité et par des risques de sécheresse en vallée», car les arbres «consomment plus d’eau que les plantes», ajoute-t-elle.
«Le nard raide s’installe aussi. Or, c’est une plante très glissante, qui peut favoriser les avalanches», regrette-t-elle. Par leur présence, les vaches stabilisent le sol et réduisent le risque d’éboulement dans cette région touristique.
Karin Pölzl, qui a fait trois heures de route pour assister à la transhumance, est triste pour ces vaches «très belles et spectaculaires avec leurs parures», qui pourraient un jour devoir rester attachées en bas à l’année. «Ce serait dommage», soupire cette vacancière.
«Il faudra s’adapter» pour faire survivre patrimoine et mode de vie, prévient Jasmin Duregger. «Si nous ne faisons pas tout notre possible pour protéger le climat, il n’y aura peut-être plus de pâturages alpins tels qu’on les connaît dans un demi-siècle», soupire-t-elle.