Attaque en Côte d'Ivoire«Les balles fusaient»: les rescapés racontent
Commerçants, badauds, personnalités racontent l'attaque qui a fait 16 morts dimanche sur la plage bondée de Grand-Bassam.
Le corps d'un jeune homme, le visage déformé par un impact de balle, git sur la plage de Grand-Bassam. Il fait partie des 14 civils tués dimanche, ainsi que deux militaires ivoiriens, par des djihadistes qui ont semé la terreur dans la station balnéaire prisée des habitants d'Abidjan. Autour de lui, des hommes en tenue blanche inspectent le corps pendant que des badauds prennent des photos avec leurs portables. «C'est un enfant», souligne l'un d'entre eux.
A quelques mètres du jeune homme, sous un «maquis», une des paillotes qui se succèdent le long de la plage, des médecins retournent le corps d'une femme en maillot de bain. Plus loin, un homme en chemise est étendu, les bras en croix. «C'est un des terroristes. Il a pris une balle perdue, tirée par ses amis», dit Virginie Napo, serveuse d'un bar voisin.
«Ils sont venus gâter notre pays», crie, méprisant, un témoin, alors que la Côte d'Ivoire avait été jusqu'ici épargnée par les attentats djihadistes . Deux autres corps sont à proximité.
«On a cru que c'était des pétards»
Militaires et policiers en armes parcourent les lieux en permanence et en mer, un zodiac de l'armée sillonne le rivage pour chercher d'éventuels corps.
A quelques centaines de mètres, des milliers de personnes attendent de l'autre côté du pont qui sépare la nouvelle ville du quartier «France», la vieille ville classée au patrimoine de l'Unesco. Ils applaudissent les forces de l'ordre qui ne cessent d'affluer sur des lieux.
«Au début on a cru que c'était des pétards de jeunes, puis on a compris que c'était des djihadistes . Ils ont commencé à tirer sur tout le monde», explique Gisèle Kouao, vendeuse sur la plage.
A l'Étoile du sud, visé par les assaillants, les serviettes des baigneurs sont abandonnées autour de la piscine de cet hôtel de luxe, fréquenté par une clientèle occidentale. Une balle s'est logée dans la vitre du réfrigérateur du bar. Par terre, une immense flaque de sang. Une personne «blanche ou libanaise», selon un employé, a été tuée après avoir tenté de se réfugier derrière le comptoir. Elle «a été tuée à bout portant», selon un policier. Le bilan aurait pu être encore plus lourd car les assaillants avaient aussi des grenades.
«On a pensé aux gens du Bataclan»
Abbas El-Roz, commercial d'origine libanaise, était à la piscine de l'hôtel au moment de l'attaque. «J'ai vu un des assaillants de loin, raconte-t-il. Il avait une Kalachnikov et une ceinture de grenades. Il cherchait des gens». Il s'est alors réfugié dans sa chambre avec trois amis pour attendre les secours.
Carine Boa, une Belgo-Ivoirienne, était dans un «maquis» avec ses deux fils. «On nous a dit que c'était une dispute entre deux patrons de bar, puis que c'était plus grave. On s'est réfugiés dans une petite remise. On était une vingtaine», raconte cette enseignante au lycée international Jean Mermoz d'Abidjan, venue passer la journée à la plage.
«On avait très peur. On a pensé aux gens du Bataclan», dit-elle en référence à l'attaque djihadiste, de la salle de concert à Paris le 13 novembre, qui a fait 90 morts.
«Je croyais que c'était notre dernière heure. On se dit toujours que ces choses ne peuvent pas arriver», souffle-t-elle.
«Même touché, il avait encore envie de tuer»
Dans la vielle ville, protégée par les forces de l'ordre, Marie-Claire Yapi est en pleurs avec son jeune fils. Dans la panique, elle a été séparée de son bébé de neuf mois et de sa soeur. «On a vu un des hommes (celui tué sur la plage), raconte-t-elle. Il avait une Kalachnikov. Même touché, il avait encore envie de tuer. Un homme m'a dit "Ne restez pas là. C'est du sérieux. Ils tuent tout le monde"».
Devant elle, Koumena Kakou Bertin témoigne, en état de choc, le T-shirt maculé de sang. Les assaillants «arrosaient et criaient Allah Akbar» (Dieu est grand en arabe). L'un d'eux «achevait les gens à terre».
Des dizaines de survivants en maillots de bain ou tout juste protégés par des sacs de plage sont escortés par les militaires. Les visages sont défaits, certains tremblent. Charlotte Yao, vendeuse, avoue: «On a eu peur, on a beaucoup pleuré».
Le récit du prince Charles-Philippe D'Orléans
«On nous tirait dessus, les balles fusaient», a raconté dimanche sur le site de Paris Match le prince Charles-Philippe d'Orléans, qui se trouvait sur la plage de Grand Bassam en Côte d'Ivoire lors de l'attaque qui a fait seize morts.
Cet ancien officier de l'armée de terre, descendant de la famille royale d'Orléans, était venu à Abidjan pour assister vendredi soir, avec de nombreuses personnalités comme Catherine Deneuve, Carla Bruni Sarkozy ou Jamel Debbouze, au gala de la Fondation «Children of Africa» présidé par la Première Dame de Côte d'Ivoire, Dominique Ouattara.
Dimanche, il s'est rendu à la plage de Grand Bassam avec sa femme et des amis. «Une journée de plage se transforme en horreur», a-t-il écrit sur sa page Facebook juste après l'attaque, revendiquée par Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi).
«Nous venions d'arriver d'Abidjan»
«Il était 12H30 (...), nous venions d'arriver d'Abidjan avec trois amis (...). Il faisait un temps de rêve, la mer était magnifique. (....) Le temps de me mettre en maillot de bain et de parcourir vingt mètres pour aller jusqu'à la mer avec un ami, on a entendu un premier tir», a-t-il ensuite raconté dimanche soir à Paris Match.
«Ce devait être cinq minutes après notre arrivée. Sans doute un calibre 22 LR. On aurait dit un pétard. Il y avait un monde fou sur cette plage à laquelle les Ivoiriens accèdent en payant. Tout le monde s'est figé un instant. Puis il y a eu un second coup de feu, du 9 mm sans doute, et là, tout le monde s'est mis à courir dans tous les sens», a-t-il poursuivi.
«Nous avons rejoint mon épouse et nos autres amis, et sommes restés ainsi à l'abri quelques minutes. Puis, comme il ne semblait plus rien se passer, je suis reparti sur le sable vers la mer pour me baigner. Et là, ça a commencé à tirer dans tous les sens. Retour aux abris (...). Les gens couraient dans tous les sens».
Armes de poing ?
«Et puis, on a vu des blessés, des morts peut être, sur le sable. Et là on s'est dit qu'il fallait partir, vraiment, le plus vite possible. A ce moment là, on entendait un tir toutes les dix ou quinze secondes. On nous tirait dessus, les balles fusaient. Le personnel de l'hôtel s'était mis à l'abri dans un bungalow tout en verre en bordure de plage», a encore raconté Charles-Philippe d'Orléans.
«Je n'ai pas entendu quiconque crier "Allah u Akbar", ni de rafales à répétition caractéristiques des armes automatiques. Je pense qu'ils avaient des armes de poing, type 9 mm ou Magnum. Ca tirait à droite, les terroristes remontaient par la plage, à pied, et aussi par la route, vers un hôtel plus important. On se sentait cernés», se souvient-il.
Il a ensuite attendu une accalmie avant de «foncer à la voiture, démarrer en trombe et filer vers Abidjan».