ProcèsLes domestiques volent leur patron
Des employés d'une famille de Vandœuvres (GE) ont fait croire à un faux home-jacking. Ils répondent devant le Tribunal de police.
- par
- Valérie Duby

Le faux home-jacking s'est produit en 2014 dans une belle maison de maître de la route de Vandœuvres, dans la campagne genevoise.
C'était il y a près de quatre ans, dans une superbe maison de maître située route de Vandœuvres ayant appartenu à un PDG de Rolex, aujourd'hui décédé. Au soir du 23 avril 2014, un employé de maison d'origine portugaise, né en 1966, se retrouve face à des individus en noir encagoulés, parlant un mauvais anglais, et qui lui enfilent un sac-poubelle sur la tête avant de l'enfermer dans une petite pièce de la bâtisse.
Le système d'alarme n'était pas enclenché. Pendant ce temps, les voleurs vident la maison – du moins une partie –, emportant avec eux des toiles de maître (Bernard Buffet, Andy Warhol), une aquarelle de Picasso, cinq urnes mortuaires (!), un œuf de Fabergé, du mobilier de grande valeur (dont un bureau Mazarin), des dizaines de pièces d'argenterie (dont des plats à asperges et une pince à spaghettis).
Au total: 113 objets quittent la propriété dans la nuit. Un nouveau home-jacking comme Genève en a connu, notamment en avril 2014, à Cologny? Pas du tout. Tout était «bidon», n'a pu que constater Me Robert Assaël, hier, devant le Tribunal de police de Genève. L'avocat pénaliste genevois défend, avec Me Coralie Erbeia, les enfants de l'ancien PDG de la marque horlogère.
Butin choisi pièce par pièce
Une opération minutieusement préparée. Il faut savoir que toutes les pièces dérobées avaient été choisies préalablement en fonction de leur valeur. Selon nos informations, il y en avait pour plusieurs millions, dont pas moins de deux pour une toile de maître. Transporté dans une camionnette VW, le butin s'est d'abord retrouvé dans un garde-meubles de Ville-la-Grand, en France voisine, avant de «descendre» sur l'Italie. Les hommes en noir étaient de mèche avec l'employé de maison.
Au total, six personnes ont été arrêtées en novembre 2014 et relâchées un mois plus tard: des Italiens et le Portugais, ce dernier travaillant depuis dix ans pour la riche famille genevoise. Il gagnait bien sa vie. Mais comme les autres prévenus dans cette affaire, il a sans doute été appâté par de l'argent pouvant être facilement gagné. On ignore en réalité ce qu'il avait à dire au tribunal étant donné que l'homme, qui vit désormais avec sa famille au Brésil, n'a pas comparu devant les juges, n'ayant pas pu réunir la somme pour pouvoir se payer un billet d'avion pour Genève. «Il est mortifié de ne pas pouvoir être présent: il voulait demander pardon», assure son avocat, Me Vincent Spira.
Bouteilles revendues
Sur les six individus accusés – notamment pour vols et pour avoir induit la justice en erreur –, quatre étaient présents à l'audience. Parmi eux, Toni*, qui ne s'est pas contenté de participer au faux home-jacking d'avril 2014. Il avait commencé sa «carrière» de voleur bien avant, en dérobant un tapis, une machine à trancher, des malles Louis Vuitton, une Harley-Davidson et des dizaines de bouteilles de vins à ses employeurs. On découvre aussi Giacomo*, cuisinier venu en Suisse en 2009 pour travailler. L'homme reconnaît qu'il devait, comme les autres, toucher sa part du butin et qu'il a empoché pas mal d'argent en écoulant les bouteilles, notamment 172 flacons revendus 125 000 francs.
Travail de fourmi
C'est par un travail de fourmi – surveillances téléphoniques, commissions rogatoires en Italie, en France et au Portugal, recherches ADN, etc. – que la police et la justice ont pu remonter jusqu'aux auteurs. Selon Me Robert Assaël, la marchandise a pu être récupérée à 75%. «Des pièces ont été endommagées», poursuit l'avocat. Les parties plaignantes, dont les enfants et la compagne de cet ancien PDG de Rolex, ont demandé des dommages et intérêts d'une valeur de 400'000 francs. Pour Me Robert Assaël, «cette affaire, très grave, n'aurait jamais dû passer au Tribunal de police, réservée aux infractions les moins lourdes. C'est le Tribunal correctionnel qui aurait dû être saisi!» Et d'ajouter: «Quel cadeau aux prévenus et quel message de la part des autorités judiciaires!» Les prévenus risquent au maximum 2 ans de prison.
*Le procès se poursuit.