SuisseLes Etats vont débattre des juges étrangers
L'initiative de l'UDC pour «l'autodétermination» est soumise mardi aux sénateurs. Ils devraient la rejeter sans contreprojet.
- par
- Christine Talos

L'initiative a été déposée le 12 août 2016.
L'initiative de l'UDC «Le droit suisse au lieu des juges étrangers» arrive au Parlement. En effet, le Conseil des Etats sera mardi la première chambre à se prononcer sur ce texte qui veut que le droit suisse prime en toutes circonstances sur le droit international. Suivant les recommandations de leur commission compétente, les sénateurs devraient le rejeter sans contreprojet, tout comme le Conseil fédéral.
Ce que veut l'initative
Pour rappel, l'initiative dite aussi «de l'autodétermination», vise à consacrer la primauté du droit constitutionnel suisse sur le droit international (sous réserve toutefois des règles impératives du droit international comme l'interdiction de la torture, du génocide et de l'esclavage). Elle impose à la Suisse d'adapter les traités internationaux contraires à sa Constitution et de les dénoncer si besoin. En clair, si les Suisses approuvent une initiative qui entre en collision avec un accord international, c'est l'initiative qui prime. Et tant pis, s'il faut résilier un traité.
«Nous demandons simplement que lorsqu'un de ces contrats est signé, il soit soumis au référendum», afin de permettre au «législateur ultime», le peuple, de se déterminer, a expliqué lundi le vice-président sortant de l'UDC Oskar Freysinger sur les ondes de la RTS. Et il cite l'exemple allemand: «les décisions de la Cour européenne de justice et de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) ont le même statut qu'une loi, donc ils sont soumis à la Constitution allemande. C'est le tribunal constitutionnel allemand qui a la primauté sur les décisions de cette Cour européenne».
Pourquoi ce texte?
L'UDC a lancé son texte après une première décision du Tribunal fédéral en 2012 qui avait estimé que la Convention européenne des Droits de l'homme devait être prise en compte dans l'expulsion des criminels étrangers. Idem en 2015 où le TF toujours avait jugé que l'accord sur la libre circulation était prioritaire sur l'article constitutionnel sur l'immigration approuvé par le peuple en février 2014. Et évidemment, l'accord institutionnel que la Suisse tente de négocier avec l'UE est aussi en ligne de mire. Oskar Freysinger craint ainsi que la Cour européenne de justice se mêle, en cas de conclusion, de tous les aspects de la vie sociale, financière et politique de la Suisse. «Nous serons soumis aux diktats de ces juges étrangers. Ce sont eux qui détermineront le droit en Suisse».
Les arguments en faveur du non du Conseil fédéral
Le Conseil fédéral rejette lui farouchement le texte. Pour lui, la remise en question constante des quelque 4000 traités internationaux conclus avec ses partenaires (traités qui règlent par exemple la lutte contre le terrorisme, le commerce ou la protection de l'environnement) pourrait signifier la fin du libre-échange. En incitant à violer des traités, l'initiative exposerait aussi la Suisse à des mesures de rétorsion de la part de ses partenaires. Le droit du plus fort risque de l'emporter.
En outre, l'initiative est floue. Elle ne précise en effet pas quand un traité est considéré comme contraire à la constitution, qui en décidera ou encore ce que signifie résilier «au besoin» l'accord en question. Ce qui engendrerait des situations cornéliennes comme celle pour l'initiative contre l'immigration de masse qui ne demandait pas clairement la résiliation de l'accord sur la libre circulation.
Autre souci majeur: la Suisse risquerait de ne plus pouvoir respecter les standards de la Convention européenne des droits de l'homme. Or, dénoncer la convention serait un recul pour les citoyens suisses, car elle défend aussi leurs droits. Argument que réfute Oskar Freysinger: selon lui, il n'est pas nécessaire de la dénoncer car «la totalité de ce qu'il y a dedans se retrouve dans la Constitution suisse».
Veto de la commission des Etats compétente
Tout comme le gouvernement, la commission des affaires juridiques du Conseil des Etats a rejeté par 12 voix contre 1 l'initiative. «Inscrire la primauté du droit suisse dans la Constitution pourrait remettre en cause la réputation de la Suisse. Celle-ci ne serait plus perçue comme un partenaire fiable en matière de droit international», a-t-elle estimé après quatre séances consacrées au sujet. Selon elle, le droit international n'est pas un droit «étranger». La Suisse n'est tenue de s'y conformer que si elle en a approuvé les règles. Le Parlement, voire les cantons et le peuple doivent auparavant avoir donné leur aval.
En outre, quelle que soit la piste choisie, la Suisse resterait liée par ses engagements internationaux. «Une nouvelle clause n'apporterait aucune plus-value par rapport au statu quo», a-t-elle souligné. Enfin, la commission a refusé par 8 voix contre 4 de proposer un contreprojet. Une minorité souhaite, elle, en revanche inscrire dans la Constitution une réserve: soit la possibilité d'édicter dans le droit suisse des dispositions dérogeant au droit international, pour autant que la norme de droit international ne garantisse pas la protection des droits de l'homme.
L'UDC seule contre tous
L'UDC est pour l'instant le seul parti à soutenir son initiative. Tous les autres la rejettent. PS, PDC, PLR, Verts, Vert'libéraux ont publié une déclaration commune pour rejeter le texte. Tout comme EconomieSuisse, ils estiment qu'un oui aurait une incidence sur les centaines d'accords économiques et créerait une incertitude juridique persistante. Des traités importants pour les entreprises, comme ceux dans le trafic aérien ou le libre-échange seraient menacés. Or ces accords internationaux sont existentiels pour notre industrie d'exportation, soulignent-ils.
Les ONG craignent aussi les conséquences d'un oui sur la Convention européenne des droits de l'homme. Une coalition de 75 organisations diverses est convaincue que malgré tout ce que réfute l'UDC, c'est bien son intention de la dénoncer.