ReportageLes exilés français craquent pour le Jura
Bien reliée à Paris, moins chère que Genève ou Lausanne, Porrentruy attire désormais les candidats au forfait fiscal.
- par
- Renaud Malik

A Porrentruy (JU), la victoire de Hollande a été volontiers saluée comme une très bonne nouvelle. Etonnant, dans une ville à majorité PDC? Pas tant que ça. Ici, on se réjouit surtout de l'afflux d'exilés fiscaux que l'arrivée d'un président socialiste va immanquablement provoquer. Comme le rappelait un récent article des Inrockuptibles, le canton du Jura s'est imposé depuis quelques mois déjà comme une destination de choix pour les candidats au forfait fiscal. Et Porrentruy, qui n'est plus qu'à 2?h?17 de Paris grâce au TGV, est en passe de devenir aussi attractive que Genève ou Nyon.
Longtemps, pourtant, le Jura a été cordialement ignoré par les riches Français. Il y a quelques années encore, il ne comptait qu'un seul forfaitaire, le cycliste Christophe Moreau. En 2010, 15 forfaitaires étaient recensés, contre 1400 dans le canton de Vaud. Depuis quelques mois, leur nombre a augmenté de manière significative. Ils seraient déjà 40 ou 50, selon une source non officielle. Chef du service des contributions du Jura, Pierre-Arnauld Fueg ne confirme pas, mais admet que «depuis le début de l'année, on a une arrivée de Français de la classe aisée dans le canton. Les appels se font plus nombreux depuis quelques semaines. On sent que certains Français ont peur.»
Profils très divers
En toute logique, l'élection de François Hollande a toutes les chances d'accélérer le phénomène. Et les autorités cantonales, du coup, se frottent les mains. «A court terme, pour le Jura, cette victoire est une bonne chose», glisse Charles Julliard, chef du Département des finances, de la justice et de la police.
Les professionnels de l'immobilier sont tout aussi ravis par l'afflux annoncé de clients français au portefeuille bien garni. Rencontré à la terrasse d'un café du centre-ville de Porrentruy, le directeur de l'agence ACC immobilier, Pierre-André Chariatte, reconnaît que son téléphone sonne souvent, ces temps-ci: «Je reçois beaucoup de demandes de renseignements de clients français, candidats au forfait fiscal pour la plupart. Cela a commencé il y a un an environ. Les gens voyaient déjà que ça partait en cacahuète dans leur pays.» Par discrétion, il se refuse à donner le nombre de dossiers qu'il gère aujourd'hui. Mais s'attend, dans les prochaines semaines, à une «demande très importante» venue de l'Hexagone. Qui sont les candidats à l'exil? «Les profils sont très divers, glisse Pierre-André Chariatte. Ils viennent de partout, de Paris comme de l'Alsace. Le plus jeune candidat à ma connaissance a 35 ou 36?ans, mais ce sont souvent des gens qui ont la cinquantaine. Il y a beaucoup d'anciens industriels, mais je connais aussi un acteur qui doit bientôt s'installer à Porrentruy. Je ne peux pas donner de nom, toutes ces personnes tiennent à la discrétion.» Leur fortune, elle, varie beaucoup, mais les très gros clients sont toujours plus nombreux, admet Pierre-Arnauld Fueg: «On connaît des dossiers à quelques dizaines de millions de francs.»
«Une jolie plate-forme»
Ce que ces Français viennent chercher dans le Jura, et à Porrentruy en particulier? D'abord, la proximité avec Paris. Depuis un peu plus d'un an, l'Ajoie n'est qu'à un jet de pierre de la capitale, grâce à la proximité de la gare TGV de Meroux (F). «Avec le TGV, nous sommes devenus la porte d'entrée de la suisse», se réjouit Pierre-Arnauld Fueg. En termes de centralité, le Jura n'a plus à rougir devant le reste de la Suisse romande, renchérit Pierre-André Chariatte: «Le Jura, c'est une jolie petite plate-forme. Les Français qui veulent des magasins de luxe savent qu'en trois quarts d'heure ils les trouveront à Bâle, à Belfort ou à Neuchâtel.» Il ajoute que son canton peut aussi faire valoir un argument de poids face à Genève ou Lausanne: les prix de l'immobilier, huit à dix fois moins élevés que dans l'arc lémanique: «On est la région où l'immobilier est le meilleur marché de Suisse!»
Interrogé, le maire PDC de Porrentruy Gérard Guénat reconnaît que l'arrivée importante de riches Français pourrait bien faire grimper les prix dans sa commune. Il n'en reste pas moins convaincu que le phénomène va surtout faire du bien à la ville: «Porrentruy a perdu 1000 habitants en 30?ans (la cité en compte 7000 actuellement, ndlr). On a des infrastructures qui nous permettraient d'accueillir peut-être 2000 habitants du jour au lendemain! Il y a pas mal de maisons ou d'appartements qui sont libres ici. L'arrivée de nouveaux citoyens ne peut être que positive.» Et le fait que ces citoyens viennent de l'Hexagone n'y change rien, ajoute le maire, qui rappelle que la ville des Princes-Evêques a été longtemps été française: «Ici, on est francophile à 100%, il ne nous manque que l'accent!» De quoi mettre en confiance les habitants de Neuilly ou du XVIe arrondissement de Paris, candidats à l'exil fiscal: dans l'Ajoie, décidément, ils seront accueillis à bras ouverts.