VaudLeysin: «Le sort de la famille géorgienne est en bonne voie»
Expulsés violemment de Leysin en début d'année, des sans-papiers sont de retour et témoignent. Leur avenir pourrait être réglé favorablement selon un député vaudois.
- par
- Sébastien Anex
Le 16 avril 2019, une famille géorgienne était renvoyée brutalement. Le Matin révélait une expulsion jugée «scandaleuse»par les voisins et contraire aux avis des médecins. Le Secrétariat d'État aux migrations indiquait ne pas être au courant des différents problèmes de santé dont souffrent les parents et enfants. Le Service de la population vaudois certifiait pourtant avoir transmis les rapports médicaux clairs aux services fédéraux.
Retour moins de trois mois après l'expulsion
Au centre du désordre: Erik Davrishyan et les siens. Après un mariage hors caste dans la famille et la perte de leur bébé sous les coups d'agresseurs, ils ont fui le pays pour échapper à la violence régnant au sein de la communauté yézidie. En 2011, la famille d'Erik rejoignait ainsi son frère, lui en situation légalisée, à Leysin. En 2015, les nouveaux arrivants étaient toutefois déboutés de l'asile. Quatre ans plus tard, c'était le renvoi forcé. Mais moins de trois mois après, les Davrishyan sont de retour en Suisse, comme l'a relaté 24 heures. Ils nous racontent aujourd'hui leur douloureux aller-retour et leurs espoirs.
Une maman vue comme un «monstre» par ses enfants
«Une fois débarqués de l'avion à Tbilissi, la capitale géorgienne, on nous a laissés seuls, avec 1100 euros en poche pour les sept», raconte Erik qui a été renvoyé avec ses deux parents, sa femme et ses trois enfants nés en Suisse. «On était épuisés et perdus» confie le père de famille. Marina, son épouse, indique que pendant plusieurs jours ses propres enfants étaient effrayés par elle: «Ils m'avaient vue comme un monstre avec un casque et ligotée à une chaise roulante par les policiers et ne voulaient plus m'approcher».
Déménager pour se cacher
Grâce à l'aide du frère resté en Suisse, un premier logement a été trouvé. Premier, car pour se cacher des assaillants ne l'ayant pas oubliée, la famille a dû déménager plusieurs fois. En parallèle, Marina et Erik ont cherché une institution pour accueillir leur fils aîné, atteint d'autisme. La prise en charge d'Alexander, 7 ans, a été refusée, pour des motifs de langue, par sept établissements, souligne Erik: «Notre fils parle le français et notre dialecte yézidi, mais pas le géorgien». Alexander, de plus en plus nerveux, se terre alors et ne mange presque plus.
Envie de vivre grâce aux démarches suisses
Au même moment, à 3000 kilomètres de la capitale géorgienne, les choses bougent. Trois députés vaudois interpellent le gouvernement en mai: «Le Conseil d'État n'a-t-il pas perdu tout sens de la mesure et de l'humanité?» interrogent-t-ils. Une interpellation qui demeure à ce jour sans réponse selon l'un des initiants. À Leysin, une pétition dénonçant la procédure et exigeant des autorités le retour des Davrishyan est lancée. Elle récolte 1500 signatures. «Ce sont les démarches entreprises en Suisse qui nous ont donné l'espoir de continuer à vivre» livre Erik, qui ajoute qu'il ne voyait aucun futur en Géorgie. Raison pour laquelle sa famille prend rapidement la décision de revenir sur les terres helvétiques. «En passant la frontière suisse, j'étais partagé entre la peur et la joie de revoir le pays où est mon cœur».
La crainte des policiers
Le 5 septembre, quand nous rencontrons Erik et Marina à Leysin, le poids du passé se lit sur leurs visages graves. La jeune femme ne comprend pas pourquoi ils ont été traités «comme des terroristes». Elle poursuit: «Nous avons essayé de faire croire à nos petits qu'on était en vacances en Géorgie, mais ils ne comprennent pas pourquoi il y avait autant d'agents». Selon Marina, ils hantent encore les enfants: «Hier, alors qu'elle sortait régulièrement seule jouer avant l'expulsion, ma fille Emily a eu peur de descendre au jardin. Elle m'a dit craindre les policiers». Sous l'instigation d'Amnesty International, les Davrishyan ont ainsi déposé une plainte pénale le 15 juillet à l'encontre de la police cantonale et des autres personnes qui ont procédé à l'interpellation. Un voisin suisse, témoin de l'expulsion, envisage aussi de dénoncer un abus d'autorité et un faux dans les titres. La police s'en remet aujourd'hui à la justice.
Des enfant heureux de la rentrée
Erik vit aujourd'hui au travers de ses enfants: «Vu que nos deux aînés vont à l'école et qu'ils sont contents, cela nous donne de l'énergie positive». Pendant notre rencontre, Emily s'applique d'ailleurs à remplir une fiche scolaire et Alexander s'exclame qu'il est heureux d'avoir retrouvé sa classe. «Les camarades de notre fils lui ont réservé un accueil chaleureux» précise, ému, Erik. «De même, beaucoup de villageois nous soutiennent et nous prennent dans les bras en nous croisant».
Gagner l'indépendance
Aujourd'hui, l'espoir du papa est d'obtenir un permis de séjour «pour pouvoir travailler et être indépendant. Nos problèmes psychologiques (ndlr: les médecins indiquaient notamment «ne pouvoir exclure un passage à l'acte suicidaire» en cas de renvoi d'Erik) sont liés à la situation en Géorgie et à l'incertitude en Suisse. Une stabilité nous permettrait enfin d'aller de l'avant.»
Un permis humanitaire?
Cette stabilité pourrait intervenir en dehors d'une autorisation de séjour liée à l'asile. Jean-Michel Dolivo, député vaudois d'Ensemble à Gauche et avocat des droits des migrants, indique qu'une demande de permis humanitaire a été déposée pour les Davrishyan. «Il s'agit d'une requête de régularisation du séjour pour tenir compte de cas individuels d'extrême gravité. Cette procédure est basée sur la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration.» L'action tient notamment compte de la durée de séjour, des problèmes de santé, de la situation financière, de l'intégration des requérants et de leurs difficultés graves à retourner au pays d'origine.
Une cas qui pourrait être réglé favorablement
Jean-Michel Dolivo se veut optimiste: «Le sort de la famille géorgienne est en bonne voie et pourrait être réglé favorablement. On peut espérer que le Conseil d'État soit sensible à la situation particulière de cette famille».