Etats-UnisLoi sur le 11-Septembre: une «boîte de Pandore»
Une nouvelle loi américaine permet à des victimes du terrorisme d'attaquer en justice des Etats étrangers. Ryad est visé.
Le roi Salmane d'Arabie saoudite jugé à New York pour le 11-Septembre: c'est le risque d'une nouvelle loi américaine permettant à des victimes du terrorisme d'attaquer en justice des Etats étrangers. Mais ce texte pourrait ouvrir une «boîte de Pandore» dans les relations internationales.
Non seulement la loi Jasta (Justice Against Sponsors of Terrorism Act) adoptée fin septembre par le Congrès américain - passant outre le veto de résident Barack Obama - enfonce un coin dans une relation déjà tendue entre Washington et Ryad. Mais elle ulcère aussi nombre d'alliés de l'Amérique inquiets de la remise en cause d'un principe sacro-saint en droit international: l'immunité souveraine des Etats.
Des membres de l'Union européenne, comme la France et les Pays-Bas, ont même menacé de légiférer en représailles, ce qui déclencherait une cascade de poursuites internationales en justice contre les Etats-Unis et leurs représentants à l'étranger, militaires et diplomates.
D'ailleurs le secrétaire d'Etat John Kerry a reconnu que la Jasta «posait un grand risque pour (son) pays». Il a dénoncé il y a quelques jours au côté de son homologue saoudien Adel al-Jubeir, «l'impact très négatif sur le concept d'immunité souveraine et les intérêts des Etats-Unis». Le chef de la diplomatie saoudienne a même averti d'un risque de «chaos du système international».
Une loi qui vise Ryad
Le texte de Jasta ne mentionne jamais l'Arabie saoudite, mais il autorise dorénavant des survivants et proches de victimes du 11-Septembre à attaquer en justice le royaume. La monarchie pétrolière sunnite a toujours nié la moindre implication dans les attentats du 11 septembre 2001, même si quinze des 19 auteurs étaient saoudiens. Et elle a été lavée de tout soupçon par une commission d'enquête américaine en 2004.
Il n'empêche que «la loi Jasta a été élaborée pour s'en prendre au plus fidèle allié des Etats-Unis ces 70 dernières années», a condamné l'ancien chef des services des renseignements saoudien, le prince Turki al-Fayçal, invité il y a quelques jours à une conférence à Washington sur les conséquences de la loi.
Bernard Haykel, professeur à Princeton, qui participait à cette conférence a même imaginé un scénario catastrophe théorique: «Le roi d'Arabie saoudite pourrait être cité à comparaître par un tribunal de New York et interrogé par un procureur (...) Et s'il ne se présentait pas, il pourrait y avoir un jugement contre le royaume».
Dégel avec Téhéran
L'alliance historique entre les Etats-Unis et l'Arabie saoudite subit un très net coup de froid depuis trois ans, alimenté par les atermoiements de Barack Obama en Syrie et par le dégel amorcé entre Washington et Téhéran, le rival chiite de Ryad.
«Cette législation, c'est semble-t-il la cerise sur le gâteau», a jugé Bernard Haykel. A ses yeux, «la loi (...) montre aux dirigeants saoudiens que (...) l'administration Obama a en quelque sorte abandonné ses alliés dans la région pour (une politique) plus favorable à l'Iran».
Pire, au plan international, une «boîte de Pandore» risque de s'ouvrir, a mis en garde Hussein Ibish, spécialiste des pays du Golfe pour l'Arab Gulf States Institute de Washington (AGSIW).
Menace de réaction européenne
De fait, l'UE avait prévenu fin septembre que «d'autres pays pourraient chercher à adopter des législations similaires conduisant à un nouvel affaiblissement du principe de l'immunité souveraine des Etats», dans une lettre adressée à l'administration américaine.
Des parlementaires français, notamment le député de droite et ancien ministre Pierre Lellouche, néerlandais et britanniques ont évoqué des propositions de lois de représailles et un vent de protestations souffle dans les pays du Golfe, en Turquie, Irak, Jordanie, au Pakistan ou encore au Japon. «Ce sont des alliés très proches et de longue date des Etats-Unis qui sont troublés par l'impact» de la Jasta, a fait valoir Hussein Ibish.
Et malgré l'évocation par John Kerry, devant Adel al-Jubeir, de «moyens pour essayer de réparer» cette loi, les experts n'y croient pas. Sauf à la contourner par de nouvelles législations ou exceptions qui limiteraient la portée de plaintes de justiciables américains.