FootballMarc Roger: «Pishyar risque la prison»
Ancien président d'un Servette qu'il avait conduit à la faillite en 2005, Marc Roger évoque le sort qui pourrait être celui du «fugitif» de la Praille.
- par
- Nicolas Jacquier

Marc Roger, au temps de la première banqueroute servettienne en 2005.
Depuis chez lui, à Alès, dans le Gard, le Français Marc Roger (49?ans) assiste à l'agonie du patient «grenat» ainsi qu'aux dernières tentatives de ranimer Servette, un club que l'ancien agent de joueurs avait mené à la faillite en février 2005. Le 10 septembre 2008, l'ancien patron de la Praille avait été condamné à 2?ans de prison avec sursis pour gestion fautive et falsification de bilan. A l'issue de sept jours de procès, la Cour correctionnelle l'avait acquitté des accusations de banqueroute frauduleuse et d'escroquerie.
Marc Roger, en tant qu'ancien président du club, quel regard portez-vous sur la situation pour le moins critique du Servette FC, qui vit peut-être ses dernières heures?
Ça ne peut faire que de la peine. Un club qui meurt, c'est triste. Mais ce qui est encore plus triste, c'est quand on voit l'attitude de M.?Pishyar, se comportant comme s'il s'en foutait. A moins qu'il ait des choses à cacher. Si tout était limpide, pourquoi n'abandonnerait-il pas le club? Il y a un terrible décalage entre tous les beaux projets dont il a parlé et la réalité.
Sept ans plus tôt, c'était vous, le fossoyeur des «grenat». Sauf rebondissement de dernière minute, vous ne serez hélas peut-être bientôt plus le seul…
Cela avive des souvenirs douloureux. Quand l'on reprend un club, ce n'est pas pour passer ensuite 23?mois comme moi en prison. Si Lorenzo Sanz (ndlr: ancien président du Real Madrid) avait honoré ses engagements, je serais toujours président du Servette aujourd'hui. Quand je vois l'extraordinaire parcours de Bâle en Ligue des champions, je me dis que ce parcours, cela aurait pu être le nôtre… Pour tourner, il fallait vendre 4 à 5 joueurs par an, dont chacun aurait rapporté entre 1 et 3 millions en étant pessimiste. En janvier 2005, Valdivia avait un pied et demi à Marseille et Beauséjour était sur le point de rejoindre Lille.
Que conseillerez-vous aujourd'hui à Majid Pishyar si vous étiez son avocat?
Me Warluzel sait très bien le risque encouru par son client. Si Servette part en faillite, son président ira faire un séjour à Champ-Dollon derrière les barreaux. La prison, c'est ce qui attendrait M. Pishyar, lequel pourrait se retrouver avec un mandat Interpol aux trousses. C'est en tout cas ce qu'il risque à son tour. (…) A l'époque, Me?Warluzel m'avait conseillé de nous donner à l'avenir rendez-vous à Annemasse. Je n'ai pas voulu le croire. Je ne pensais pas que la Suisse était un Etat bananier.
Comme aujourd'hui, des repreneurs s'étaient déjà manifestés en 2005 pour sauver Servette. Autant de pistes alors creuses…
Je n'ai essentiellement eu affaire qu'à des farfelus. Il y avait aussi ces mystérieux Syriens qui nous avaient baladés pendant des semaines. En les écoutant, tout le monde était rassuré. J'ai appris par la suite qu'ils se sont retrouvés en prison. Cette fois, le contexte est différent. Il existe un intérêt de plusieurs repreneurs même si l'accès aux chiffres demeure difficile.
Si c'était à refaire…
Je referai les mêmes choses, mais différemment. Ce qui m'a perdu, c'est ma générosité. La secte genevoise des bien-pensants m'a abusé. J'ai aussi été trop gentil avec les joueurs qui refusaient de sauver le club. Des types comme Ziani, Alicarte ou Moldovan n'ont pas joué franc-jeu. C'est moi qui aurais dû déposer une plainte pénale contre eux! Lorsque je suis arrivé à Genève, on m'a menti sur les vrais chiffres et l'ampleur des dettes. Le trou n'était pas de 4 millions comme on me l'avait vendu, mais de 14,5 millions de francs. Quand les créanciers nous ont vus arriver, ils nous ont pris pour des milliardaires et aucun d'entre eux n'a voulu consentir à faire un effort.
Dans le cadre de l'affaire Zambrella, pourquoi n'aviez-vous jamais «marché» sur Stamford Bridge et Chelsea comme vous vous y étiez pourtant engagé?
Les joueurs avaient voté sur le bien-fondé d'une telle expédition. A une courte majorité, il s'est avéré qu'ils n'étaient pas près de me suivre. A l'époque, Zambrella devait signer à Liverpool. Houllier s'est ensuite vexé quand il a appris que le joueur avait été faire un essai clandestin avec Chelsea. Dès ce moment-là, tout est parti de travers… Si Genève avait marché sur Chelsea, j'aurais aussitôt récupéré l'argent qui aurait largement permis de sauver le club. Les dirigeants anglais avaient du reste une telle peur de me voir débarquer au siège du club avec des centaines de supporters qu'ils avaient engagé un détective pour me suivre à Genève. Dès l'instant où l'avion décollait de Cointrin, Peter Kenyon (ndlr: alors directeur exécutif de Chelsea) m'apportait le chèque à l'aéroport de Heathrow pour éviter le scandale que notre action aurait provoqué!
Mais il n'y a jamais eu de chèque ni de miracle…
Il y avait quand même 36 millions de francs à récupérer! Au début 2005, le passif était de – 12,5 millions. Si vous ajoutez les 36 millions, même en Suisse, ça fait +23,5 millions, non? Ce n'est quand même pas de ma faute sur l'Office des faillites n'a pas les moyens de se payer des avocats pour vendre les actifs d'une société. Compte tenu de son exposition, Servette était et reste viable, j'en suis persuadé. Si Lausanne réussit à s'en sortir, pourquoi Servette n'y arriverait-il pas? Il faut 7 millions de francs par an. Ce n'est pas une somme facile à réunir mais pas impossible non plus.
Que devient Marc Roger en 2012?
Je termine un livre retraçant mon épopée genevoise. Sa sortie est prévue en septembre. Je n'y explique pas ma vérité, mais la vérité.
Au fait, la reprise du Servette pourrait-elle vous intéresser?
Bien sûr que je serais prêt à reprendre le club si… j'en avais les moyens, mais je ne les ai plus. Sinon, je serais déjà dans le bureau de la juge! (Rires.)