ÉconomiesMédecine au chronomètre: les praticiens se révoltent
Depuis le début de l'année, la consultation médicale de base est limitée à 20 minutes. Une mesure qui passe mal dans le milieu.
- par
- Alexandra Brutsch

Pour les plus de 75 ans et pour les enfants de moins de 6 ans, la limite est étendue à 30 minutes.
Votre médecin regarde discrètement sa montre alors que vous lui décrivez en détail vos troubles gastro-intestinaux? N'allez pas croire que vous l'ennuyez, il est peut-être simplement en train de garder un œil sur l'heure afin de s'assurer que la consultation sera bien remboursée par votre assurance-maladie.
Depuis le 1er janvier, la consultation médicale de base est en effet limitée à 20 minutes, aussi bien pour les spécialistes que pour les généralistes. Explosion des coûts de la santé oblige, le Conseil fédéral a en effet adopté une série de mesures qui devraient permettre des économies de l'ordre de 470 millions de francs par an, soit environ 1,5% des primes d'assurance-maladie. Berne entend ainsi «corriger des prestations surévaluées, réduire les incitations indésirables et augmenter la transparence». Mesures prises unilatéralement par l'exécutif fédéral, faute d'accord sur une révision globale entre les partenaires tarifaires, qui incluent notamment les médecins, les assureurs et les hôpitaux.
Prestations minutées
Au menu, une réduction de moitié du temps accordé aux prestations effectuées en l'absence du patient, qui devront en outre désormais être détaillées: étude de dossier, obtention d'informations auprès de tiers, établissement d'ordonnance, etc. Les prestations «à l'acte» des spécialistes seront, quant à elles, transformées en prestations «en temps» et facturées par période de 5 minutes, tandis que le minutage considéré comme moyen pour certaines interventions sera abaissé (opération de la cataracte et coloscopie notamment). Mais le gros morceau que ne parviennent pas à digérer les médecins est la limitation de la consultation de base à 20 minutes, respectivement 30 minutes pour les enfants et personnes âgées (ainsi que pour certains patients «présentant des besoins plus élevés», pour autant que cela soit motivé auprès de l'assureur).
Qui paiera le prix en cas de dépassement du temps? «Soit le médecin devra renoncer à facturer le surplus, soit il débordera et le patient courra le risque que la facture ne soit que partiellement remboursée», anticipe Pierre-Alain Schneider, président de la Société médicale de la Suisse romande (SMSR). Ce qui impliquerait une médecine à deux vitesses, où seuls les nantis peuvent bénéficier de longs entretiens médicaux. Des craintes balayées par l'Office fédéral de la santé publique (OFSP), qui précise que les spécialistes peuvent facturer des prestations supplémentaires pour des conseils médicaux spécifiques allant au-delà de la portée de la consultation de base. «Le contact médecin-patient n'est donc pas limité à 20 minutes, résume le porte-parole de l'OFSP. De plus, selon la loi, on ne peut facturer aux patients des services fournis par la LAMal: les coûts ne leur seront donc en aucun cas transférés.»
«On est les moutons noirs»
Reste que cette révision donne l'impression à Pierre-Alain Schneider que les médecins ne sont plus jugés crédibles par les politiciens. «On sent qu'on est les moutons noirs, qu'on veut nous mettre sous tutelle, et c'est détestable. Certes, il existe des exceptions, des médecins qui facturent de manière abusive, mais, en imposant une limitation aussi sévère, on pénalise surtout la grande majorité qui fait bien son travail.»
Et pour quel résultat? Le président de la SMSR met sérieusement en doute l'efficacité de ces mesures en termes d'économies. «Depuis l'introduction du TarMed, le nouveau tarif pour les prestations médicales, en 2004, on nous promet des merveilles. Qui ne se sont toujours pas concrétisées.»
Le généraliste lausannois Vincent Jéquier partage ces doutes, mais, contrairement à nombre de ses confrères, voit un point positif à cette révision. «Grâce au détail des prestations effectuées en l'absence des patients, ceux-ci pourront maintenant mieux comprendre l'ampleur du travail effectué en dehors des consultations: préparation de bons pour le physiothérapeute, rédaction de rapports pour l'assurance, le médecin-conseil, etc. Cette partie du travail sera au moins mieux reconnue.»