AthlétismeMeuwly: «Mujinga n'aime pas recevoir des ordres»
L'entraîneur du relais 4 x 100 m féminin a réagi dans «Le Matin Dimanche» à l'annonce de Mujinga Kambundji de claquer la porte du relais national.
- par
- Stéphane Combe

Relevé de ses fonctions à la tête du relais masculin l'an dernier, Laurent Meuwly est cette fois abandonné par sa meilleure sprinteuse.
- Laurent Meuwly, à quel point avez-vous été surpris par l'annonce de Mujinga Kambundji vendredi?
C'est une situation qui durait dans le temps, je n'étais donc pas vraiment surpris. Il y a eu avant cela des discussions, des tentatives de trouver des solutions. On espère toujours que ça ne va pas terminer comme ça. J'ai toujours pensé qu'on allait pouvoir trouvé une solution.
- Vos désaccords jusque-là n'étaient un secret pour personne...
C'est vrai, les divergences sur les sacrifices à effectuer pour le relais durent depuis plusieurs saisons. Maintenant, on a toujours trouvé des terrains d'entente et on a fait des compromis. Ça avait fonctionné jusqu'ici.
- Que s'est-il passé cet hiver?
J'ai contacté Mujinga et son entraîneur dès octobre pour planifier la saison 2016. On a fait des adaptations pour leur programme, tout leur convenait. On a ensuite discuté à nouveau pendant l'hiver suite à ses problèmes de forme en raison de changements dans son entraînement.
- Que vous a-t-elle alors dit?
Elle ne voulait plus venir en Afrique du Sud pour travailler sur sa forme individuelle. Je l'ai accepté en la dispensant du camp. Mais finalement après d'autres réflexions, elle a décidée que ça n'allait pas pour elle, cette situation, et qu'elle se concentrerait sur les disciplines individuelles.
- Vous comprenez cette ambition?
Je crois que, clairement, dire qu'on se concentre sur 100 m-200 m, c'est pour ne pas dire qu'il y a des divergences insurmontables pour ne pas faire le relais. Parce qu'on ne peut pas dire qu'on veut absolument courir avec ses copines, que le relais nous a toujours apporté beaucoup de plaisir, et d'un autre côté y renoncer en année olympique.
- Lui demandiez-vous trop d'efforts?
C'est sûr que ce sont les divergences qui ont pesé lourd dans la balance. Je ne crois pas que ça ait un lien avec nos activités et ce que je demande aux filles. D'une part, on a beaucoup planifié en fonction de Mujinga, puis on a encore adapté sa situation personnelle en la dispensant de certaines obligations. Jusqu'à un certain minimum, car finalement, c'est moi qui suis responsable des résultats de ce relais, donc ce que j'accepte qu'elle ne fasse pas, c'est moi qui dois assumer la performance collective, pas elle. J'ai fait beaucoup de pas dans son sens, et là ça ne suffit pas.
- C'est un problème d'autorité, aussi?
Il y a l'aspect relationnel, bien sûr. Mujinga a un problème avec ça, recevoir des ordres, d'être dirigée. On peut le comprendre puisqu'il s'agit d'une discipline collective dans un sport individuel. D'habitude, tu cours seul, pour ta performance et là il faut plusieurs éléments. Or je suis là pour faire progresser l'équipe, et il y a d'autres paramètres qui entrent en ligne de compte que simplement courir vite. On l'a vu en 2015 puisque Mujinga a battu tous ses records mais pas le nôtre. C'est aussi parce qu'on a travaillé moins, ou moins bien.
- Aujourd'hui, vous avez perdu votre meilleur élément...
Ce que je ne peux pas comprendre, c'est qu'on arrive à une situation unique au monde. A ma connaissance, ces dernières années, il n'y avait aucun pays où la meilleure athlète refusait de courir avec l'équipe nationale. Et pourtant, avec tous les égos des sprinteurs, je suis persuadé que tous ne s'entendent pas bien avec l'entraîneur national. Mais ils sont fiers de courir pour le pays, ils veulent saisir une chance d'être dans une finale olympique ou de viser une médaille. Donc ils en font fi, ils serrent les dents et ils courent. A un moment donné, dans le sport de haut niveau, ce n'est pas la notion de plaisir qui compte, mais celle du résultat.
- Les objectifs du relais sont-ils bouleversés ?
Le problème, c'est qu'on n'a pas seulement perdu la sprinteuse la plus rapide de Suisse. On avait déjà perdu Léa Sprunger, qui a d'autres objectifs sur 400 m haies et qui ne peut pas enchaîner d'un point de vue technique et au niveau des horaires de course. Donc on a perdu la capitaine, la seule qui avait fait tous les records, et maintenant Mujinga. C'est problématique.
- Quid des autres athlètes?
Heureusement, on a travaillé depuis des années avec la base. On a des jeunes comme Atcho ou Kora, il y a toujours Lavanchy et E. Sprunger. Donc ça change la donne, mais le travail chez les jeunes nous donne une base solide. Par contre, on ne peut pas à court terme viser les mêmes objectifs qu'avec l'équipe complète.
- Avez-vous peur de vous faire retirer vos fonctions, comme l'an dernier avec les hommes?
La situation est différente. Pour les hommes, la fédération avait réfléchi à court terme. C'est l'année olympique. Ils se sont dit que chez les hommes ils ne pouvaient pas le faire sans Wilson et Schenkel, ce qui était faux à mon avis. Donc ils ont changé l'entraîneur. Pour ce qui est des filles, c'est différent. La moitié d'entre elles s'entraînent avec moi. Elles sont en adéquation avec ma philosophie du relais, n'ont pas de problème avec moi et elles ne veulent pas un autre coach. Là c'est plutôt le long terme qui prime. C'est sûr que si on veut que Mujinga revienne, il faudrait changer le coach mais les autres filles sont conscientes d'où l'on vient. Il n'y avait pas le même historique avec les hommes.
- Dernière question, cette décision de Mujinga est-elle définitive?
Oui, pour la saison 2016, c'est définitif. On a quand même attendu très longtemps pour avoir une décision. C'est important que l'on sache désormais avec qui l'on travaille, dans quelle direction, préparer la saison d'été dans la sérénité et on ne va plus discuter avec Mujinga, car en octobre-novembre tout paraissait clair, et on n'a plus de temps à perdre.