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MusiqueMichael Bublé: «Merci aux lecteurs de m'avoir aidé»

Après avoir mis sa carrière en suspens pour son fils atteint d'un cancer, le crooner canadien revient avec un nouvel album dédié à l'amour sous toutes ses formes. Rencontre.

par
Miguel Cid
Londres
L'artiste évoque sa descente en enfer et son disque avec beaucoup d'émotion.

L'artiste évoque sa descente en enfer et son disque avec beaucoup d'émotion.

AFP

Il a vendu 60 millions d'albums, gagné quatre Grammies et recevra son étoile sur Hollywood Boulevard ce vendredi 16 novembre, jour de la sortie de son nouvel album,

Le sympathique crooner canadien à la voix de velours revient donc aux affaires après avoir mis sa carrière en veilleuse il y a deux ans pour se dévouer à son fils aîné, Noah, 5 ans, diagnostiqué alors d'un cancer du foie. Il évoque sa descente en enfer et son disque avec beaucoup d'émotion lors de notre rencontre exclusive dans un palace londonien.

Pendant votre absence, vous avez songé à ne pas revenir à la musique. Qu'est-ce qui vous a fait changer d'avis?

Je ne suis jamais tombé en désamour de la musique. Je pense juste qu'avec ce qui s'est passé, le diagnostic de mon fils, je l'ai juste mise de côté. Tout a dû être mis en suspens. Il m'était impossible de me concentrer sur autre chose que mon fils à l'époque. Et ensuite, si j'ai failli ne pas revenir, ce n'est pas parce que j'ai arrêté d'aimer la musique ou mes fans mais parce que je voulais tourner la page et cela plus pour mon fils que pour moi. Il mérite d'avoir une chance d'aller de l'avant et de ne pas devoir toujours traîner cette expérience derrière lui. C'est à lui, pas à moi, de raconter son histoire. Cette situation est donc devenue difficile à vivre pour un personnage public parce que quand je suis finalement sorti de chez moi – je n'avais pas quitté la maison ou l'hôpital pendant près de deux ans – j'ai été bouleversé par le soutien que les gens m'ont témoigné mais en même temps, ils ne se rendaient absolument pas compte qu'ils me rappelaient sans cesse ce qui était arrivé, chaque fois que je sortais, que j'entrais dans un magasin ou au cinéma. Je n'avais pas le sentiment que cette situation me permettait de trouver la paix, d'arriver à sortir de ma tête.

Aujourd'hui, vous êtes content d'être de retour?

Oui, cela me procure tellement de bonheur, et c'est tellement important pour moi, de pouvoir dire à vos lecteurs comme vous m'avez aidé, comme il y a eu de nombreux jours où ma femme et moi ne savions pas comment survivre et votre amour et vos prières nous ont remonté quand nous étions si déprimés. Ceci est ma chance de vous dire merci, de vous dire que je vous aime et que j'ai fait un disque pour vous afin de vous donner cet amour en retour. Je m'en fiche de l'argent, je m'en fiche des ventes et je m'en fiche de ce que les critiques disent ou ne disent pas. Je m'intéresse à vous et je m'intéresse à l'expérience de cette vie, cette courte vie que nous avons, et la perspective que j'ai aujourd'hui me permet d'essayer d'être reconnaissant et de m'estimer heureux. Donc merci.

Dans «Forever Now», une chanson que vous avez écrite, vous vous adressez à votre fils, non?

C'est drôle, je suis un artiste et, comme tout songwriter, poète, musicien, j'écris ce que je ressens. À l'époque, ce titre n'était pas juste autobiographique pour moi. J'ai véritablement écrit une chanson sentimentale sur l'amour parental. J'ai beaucoup d'amis dans ma vie qui n'ont pas d'enfants. Ils ont des chiens, des chats et même un lézard. Et je peux vous dire que mon amie Corina, qui possède un lézard, un iguane, l'aime autant que j'aime mes enfants. Je voulais composer une chanson qui pourrait être interprétée par l'auditeur à sa façon. J'avais envie qu'il ait réellement la chance d'être sentimental à propos du temps. Et je pense que c'est de ça dont parle vraiment la chanson. Elle traite de l'amour dans le temps et du cercle de la vie et du fait que le temps passe trop vite, vraiment trop vite. Et j'adore me pencher sur la sentimentalité de cet amour merveilleux qu'on éprouve pour des gens ou des animaux qui ne peuvent pas s'occuper d'eux-mêmes. Ils ont besoin de nous; nous sommes responsables d'eux. Il y a quelque chose de tellement beau dans la profondeur d'un amour dont on n'est pas le sujet. Tu aimes cet être plus que tu ne t'aimes toi-même. Et j'adore chanter sur cette expérience. Je sais que je partage cette expérience avec plein de gens. Que tu sois riche ou pauvre, Blanc ou Noir, jeune ou vieux, quand tu aimes, tu aimes. Et j'adore qu'on partage tous cette expérience et qu'elle puisse signifier tellement de choses différentes pour tellement de gens différents.

Je n'aurais pas pensé à un lézard…

Je me souviens que lorsque les choses allaient mieux et je revenais à une nouvelle normalité, parce que plus rien n'est normal comme avant après une épreuve pareille, cette amie que je connais depuis tout jeune qui habite en France et est propriétaire du lézard se sentait désemparée parce que le lézard était malade. Je pouvais voir qu'elle souffrait profondément. Je ne crois pas m'être montré très sensible à cet égard. Je lui ai dit: «Écoute, c'est juste un lézard.» Et elle m'a regardé et a dit: «Trou du cul. Ok, pour toi c'est un lézard. Pour moi, c'est mon enfant. Dans mon expérience, dans le contexte de ma vie et de mes sentiments, il est tout aussi important pour moi.» C'est probablement bizarre de m'entendre dire ça mais je pense qu'après ce que j'ai traversé, j'ai envie de faire preuve de plus de compassion. Je veux avoir plus d'empathie et reconnaître cela parce que c'est une chose pour moi qui est très réelle. J'ai des amis qui vivent des ruptures ou perdent leur boulot et je leur dis: «Hé, c'est juste un job.» Mais je me rends compte que tu ne peux pas leur enlever ça. Ils souffrent et c'est gentil de le reconnaître.

Est-ce délicat de placer sur un même album des compositions originales aux côtés de standards, comme vous le faites depuis des années?

Oui. Je crois que ça met la responsabilité sur toi, le songwriter, de t'assurer que ta chanson est suffisamment bonne, que tu as écrit quelque chose qui puisse être à la hauteur de quelques-unes des plus grandes chansons qui existent. Certaines de ces chansons que j'interprète sont connues depuis plus d'un siècle. Elles sont universellement aimées et révérées. Quand tu enregistres un disque où il y a treize titres, tu as le droit d'avoir quelques fillers. Tu as le droit que le quatrième et septième morceau, et peut-être aussi le huitième, neuvième et dixième soient juste OK. Au fait, j'écris plein de chansons. Un soir, je me trouvais avec Ed Sheeran dans mon appartement en train de boire des verres et je lui ai dit: «Hé, combien de chansons es-tu en train de composer?» Il m'a répondu: «J'en écris environ cinq par jour.» Je me suis senti vraiment mal. J'ai eu l'impression d'être le pire songwriter du monde. J'ai composé sept chansons pour cet album et ça m'a pris un an. Et tu en écris cinq par jour? Et il a rétorqué: «Oui, mais la plupart sont merdiques.» Donc ça arrive, tu vois ce que je veux dire? Et puis, j'ai eu de grands succès et j'ai échoué aussi. Je fais de mon mieux.

Ce n'est pas la première fois que vous reprenez «When I Fall In Love». Vous l'aviez déjà fait en mode r'n'b avec Boys II Men en 2009. Pourquoi aimez-vous autant cette chanson?

C'est difficile pour moi de parler de cette chanson sans évoquer toutes les autres. Ce disque est mon étude sur l'amour. Chaque chanson est un petit portrait, un court-métrage cinématographique et traite du fait que le mot «amour», le sentiment amoureux, est profond, riche et a plusieurs niveaux. Pourquoi est-ce que j'aime «When I Fall In Love»? Parce je crois que quand les gens écoutent cette chanson et n'étudient pas ses textes, ils entendent juste une chanson romantique classique mais il s'agit en fait d'une chanson incroyablement triste. Quand je deviens le personnage dans la chanson, je suis à assis au comptoir d'un bar à 4 h du matin, après avoir descendu six scotchs, soûl et sachant que je n'ai personne, que je suis seul, que je souhaite avoir l'amour dans ma vie. Et quand il viendra, quand ma chance se présentera, quand cette personne entrera dans ma vie, alors je saisirai cette chance et je m'engagerai à donner tout de moi et à tomber amoureux pour toujours, parce qu'au moment où je chante, je n'ai pas ça. Je suis seul, je me sens seul…Cela fait partie des complications de l'amour et dans d'autres chansons c'est ce que j'aime autant.

Parlez-nous des autres titres.

«Love You Anymore » est sur une relation brisée. Pour moi, c'est le protagoniste qui dit à sa partenaire dans la chanson qu'il a trop peur d'admettre combien il l'a aimée parce qu'il sait qu'il l'a perdue. Dans «My Funny Valentine», le narrateur dit à son amante qu'il l'aime et la supplie de ne pas le quitter mais dans le même souffle il la déteste. Il lui dit des horreurs, en gros, qu'elle est stupide et moche. Puis, il ajoute: «Mais ne change rien pour moi, si tu m'aimes.» C'est une relation d'amour-haine. On évoque une couleur qui a tellement de textures, de couches et de niveaux différents parce que cette chanson parle d'amour, de haine, de ressentiment, de jalousie, d'insécurité. Et chaque titre de cet album est sa propre étude sur la complexité de cette émotion.

C'est vrai que l'ambiance de «My Funny Valentine» est particulièrement menaçante.

J'adore ce mot. Je ne me souviens pas à qui j'ai joué ce morceau et cette personne l'a décrit comme ça, menaçant, et j'ai adoré. Ce qui est délicieux pour moi, encore une fois, c'est de laisser à l'auditeur le soin d'interpréter les chansons. C'est tellement beau. C'est ce qui est si merveilleux avec l'art. C'est pour ça que je peux observer un tableau dans un musée et en penser une chose et tu peux observer le même tableau et imaginer quelque chose de complètement différent. Je trouve ça réellement fascinant.

D'après ce que vous dites, vous jouez un rôle dans cette chanson.

Oui. Ecoute, je suis très fier de tout le travail que j'ai fait jusqu'à présent et j'aimerais ne pas avoir la perspective que j'ai aujourd'hui. J'échangerais aisément qui je suis et la perspective que la vie m'a donné pour ne pas avoir à endurer ce que j'ai dû endurer. Mais, dans la vie, on traverse plein de chemins, de souffrances et de fissures sur la route et parfois, c'est à travers les fissures que se faufile la lumière. Et je vois maintenant ma vie avec clarté et cette clarté m'a permis de raconter une histoire, probablement pour la première fois avec honnêteté parce que je souffre, parce que je suis reconnaissant, parce que j'essaie de gagner avec grâce et perdre avec dignité. J'aimerais ne pas avoir cette clarté mais je l'ai. De bien des façons, je suis moins bien loti qu'avant mais c'est difficile d'imaginer que dans certaines formes d'art cela ne te rend pas meilleur parce que tu peux maintenant ressentir ces sentiments et dire ces choses et vraiment savoir de quoi tu parles.

Qui chante avec vous en duo dans «La Vie en Rose» et comment est votre français?

(En français.) Mon français, c'est terrible! Je chante avec une artiste jazz incroyable, Cécile McLorin Salvant. Son père est Américain et sa mère Française, de Paris. As-tu vu «Un Américain à Paris»? Gene Kelly se rend à Paris et c'est presque le reflet de ma relation avec ma femme (ndlr.: son épouse est Argentine), le clash total de deux cultures. Cela commence avec moi en train de chanter que je tombe amoureux et de nous imaginer en train de marcher dans la rue main dans la main et de vivre ce nouvel amour à Paris. Et à présent, cette femme, le personnage qu'incarne Cécile, entonne un contre-chant, une mélodie que j'ai composée, mais elle répond à mon anglais en français. Et maintenant, alors que la relation continue de se développer, elle commence à chanter pour moi en français et à me parler et à communiquer avec moi dans sa langue. Et je réponds en anglais. Et puis il y a ce magnifique passage instrumental où l'on fait une danse de l'amour. Et quand on sort de l'instrumental, j'ai le sentiment que mon personnage a complètement assimilé sa culture à elle et je chante dans sa langue et on finit tous les deux la chanson en français. Et ça ressemble beaucoup à ma relation, à mon mariage et au film. Mais pour moi, c'était très jouissif que chaque chanson ait une histoire comme celle-ci et pouvoir ne pas juste dire: «Oh, je vais chanter cette chanson et la rendre jolie.» Donc quand je te dis que chaque chanson a une intrigue cinématographique, une ambiance, ce titre en est un bon exemple.

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