SurveillanceNos enfants filmés 24h sur 24 à l'école
Un juge vaudois autorise la télésurveillance dans les cours de deux collèges durant les périodes scolaires. Une décision qui fait bondir parents et enseignants.
- par
- Raphaël Girardin et Anne-Florence Pasquier

Filmer les faits et gestes des enfants: une «fausse bonne» solution face aux incivilités?
Les moindres faits et gestes des ados en récréation pourront désormais être enregistrés sur images et visibles en permanence au poste de police, comme c'est le cas à Lutry. Le Tribunal cantonal a en effet tranché: il y autorise la télésurveillance 24 h sur 24 h de l'extérieur des bâtiments scolaires, et avec eux, de toute la vie de deux collèges de Lutry (VD), les Pâles et le Grand-Pont.
Cette décision, qui fait jurisprudence, impose un changement de pratique au canton de Vaud. Dans ceux de Neuchâtel, Fribourg ou Genève, des communes ont aussi équipé leurs écoles de caméras, mais les préposés cantonaux à la protection des données veillent encore au grain pour garantir la sphère privée des élèves et enseignants. Le canton de Vaud n'aura plus son mot à dire.
«Je prends acte de la décision du Tribunal cantonal, réagit Christian Raetz, préposé cantonal à la protection des données. Selon moi, il n'y avait pas d'éléments suffisants qui justifient de filmer durant les heures de cours. Avec cette jurisprudence, je vais devoir changer ma pratique, qui était de m'opposer à la télésurveillance étendue aux périodes de cours.»
Les communes seules décident
Vaud laisse désormais le champ libre aux communes de déterminer si elles veulent mettre des caméras sur les bâtiments scolaires et, en fonction de leur règlement, décider de filmer enseignants et élèves en continu.
D'autres communes seront-elles tentées d'emboîter le pas? «On espère bien que les communes ne vont pas s'engouffrer dans ce sens, ce n'est pas le bon chemin à prendre, réagit Jacques Daniélou, président de la Société pédagogique vaudoise. C'est inopportun et inutile, ça discrédite l'action des enseignants et leur travail de surveillance aussi. On prend acte, mais on ne salue pas cette décision avec des fleurs.»
Une nouvelle qui par contre ravit la commune de Lutry. «Cela nous conforte, relève Claire Glauser, municipale de Lutry chargée des écoles. Le juge nous a suivis, nous n'étions donc pas en tort. Ça prouve que ce n'est pas un si mauvais système que ça, d'autant plus que le but a été atteint: nous ne constatons plus aucune déprédation.»
C'est bien suite à des tags, bris de verre, containers brûlés et dégâts sur des voitures par un groupe d'adolescents qui ne fréquentaient plus l'école, qu'en 2005 la commune de Lutry pose une armada de caméras dont six au Collège des Pâles et 15 au Collège du Grand-Pont. En place durant 8 ans, c'est suite à la loi cantonale sur la protection des données instituée en 2007 que Christian Raetz, le préposé cantonal, s'est opposé à ce qu'elles filment durant les heures de cours. Selon l'argument qu'il a développé à l'intention du Tribunal: la mission de l'école est d'assurer l'instruction des élèves et leur sécurité. Elle se trouve en totale opposition avec l'instauration d'une surveillance permanente, les enseignants et élèves n'ayant pas d'autres choix que de se trouver dans les champs des caméras.
Un dommage collatéral
Lutry n'est de loin pas la seule commune vaudoise à surveiller ses bâtiments scolaires suite à des déprédations. Ecublens, Prilly, Aigle s'en sont aussi dotés mais ont accepté de filmer uniquement en dehors des périodes d'écoles. Tout comme à Marin (NE) ou à Attalens (FR), où sans loi cantonale de vidéosurveillance, les communes utilisent le dispositif de manière restrictive. Clair Glauser, municipale de Lutry, assure que «les caméras n'empiètent pas sur la vie des élèves et ne sont pas faites pour surveiller les enfants.»
Pour Georges Pasquier, président du syndicat des enseignants romands, «ça participe au tout sécuritaire. Si on en arrive à un contrôle des élèves, c'est un constat d'échec. Même si on dit surveiller les bâtiments scolaires, la violation de la sphère privée des enseignants et des élèves reste un dommage collatéral.» Une position partagée par l'avocat genevois Charles Poncet qui, en 2005, avait conseillé aux élèves de Lutry de sprayer les caméras. La boutade lui a valu une plainte de la commune. «C'est une décision de justice et il faut la respecter. Je ne puis cependant que regretter cette fuite en avant vers des solutions techniques, qui n'en sont pas. Au lieu de mettre des caméras, nos autorités feraient mieux de s'atteler à rétablir une discipline stricte dans les collèges et à faire que la peur de la sanction les rende superflues comme jadis.» Mais l'époque des cachettes dans les préaux d'école semble bien révolue.