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Liban«Nous n'avons pas de projets pour elle»

Rahaf est née réfugiée. Le bébé vit ses premiers jours dans la boue d'un camp informel de la Bekaa. Témoignage.

Cléa Favre
par
Cléa Favre
Rahaf (dans les bras de sa mère) a tout juste 15 jours. Le HCR s'inquiète de la situation de ces nouveau-nés syriens au Liban. En 2014, 72% d'entre eux ne possèdaient pas de certificat de naissance, posant la question de la reconnaissance de leur nationalité par les autorités.

Rahaf (dans les bras de sa mère) a tout juste 15 jours. Le HCR s'inquiète de la situation de ces nouveau-nés syriens au Liban. En 2014, 72% d'entre eux ne possèdaient pas de certificat de naissance, posant la question de la reconnaissance de leur nationalité par les autorités.

Sébastien Anex

Rahaf a 15 jours. La petite fille est née réfugiée et vit ses premiers instants au bout d'un chemin de terre, là où ont été semées 14 tentes qui abritent au total 18 familles. Son toit à elle est fait de bâches en plastique que ses parents – Hassan, 20 ans, et Arwa, 18 ans – ont acheté à crédit à des voisins, lors de leur installation sur ce terrain boueux il y a trois ans. Pour l'instant, depuis la boule de couvertures où elle est cachée pour se protéger d'un hiver particulièrement agressif, elle ne peut voir que l'intérieur de son foyer, décoré avec des tissus de Syrie. Contrairement à la plupart des autres tentes du camp informel situé à Douris, à deux kilomètres au sud-ouest de Baalbeck, ici, le froid humide ne pénètre pas les os. Un poêle est allumé et dégage une chaleur plus que bienvenue. L'intérieur a aussi été particulièrement soigné, faisant oublier qu'il ne s'agit que d'un assemblage de plastiques. Mais l'absence d'autres pièces, de tout accès à l'eau ou à des sanitaires rappelle chaque jour la famille à la réalité.

Pas enregistrés officiellement comme réfugiés

Pour Rahaf, manger n'est pas encore un problème. Elle tête le sein de sa mère à volonté. En revanche, sa situation pourrait se compliquer en grandissant. Ses parents n'ont en effet pas de papiers et ne sont pas enregistrés officiellement comme réfugiés. Ils ne touchent donc aucune aide du Programme alimentaire mondial (PAM), agence des Nations Unies très active dans la région. Pour l'instant, ses parents se débrouillent. Son papa, qui tenait un restaurant en Syrie, vend aujourd'hui ses services à la journée. Il œuvre tantôt comme jardinier, tantôt comme manœuvre et gagne entre 10 et 14 francs par jour. «Je sais que c'est très peu et que je me fais exploiter. Mais il y a une grande compétition entre les Syriens pour obtenir un travail. C'est soit j'accepte, soit ils prennent quelqu'un d'autre», explique Hassan. Les employeurs libanais ne sont pas les seuls à profiter des réfugiés. La famille loue le terrain sur lequel elle a dressé sa tente plus de 30 francs par mois. «Si nous étions plus près de la route, ce serait plus cher.» Le jeune papa explique qu'à son arrivée l'ensemble des familles payait l'équivalent de 100 francs au total pour tout le terrain. Le propriétaire, qui possède plusieurs champs aux alentours, a donc vu sa fortune grossir considérablement au fil de la crise.

«Nous avons peur que le toit ne s'effondre»

Arwa prend Rahaf dans ses bras. Le bébé entend ainsi mieux sa voix. Elle explique que, quand la neige est là, comme la semaine précédente, le couple ne dort pas de la nuit. «Nous avons peur que le toit ne s'effondre. C'est déjà arrivé à plusieurs personnes dans le camp. La météo est très difficile depuis plusieurs mois», dit-elle. De toute façon, il n'y avait pas vraiment d'alternative pour eux. «Nous avons pris la décision de quitter Raqqa quand nous avons compris que les bombardements se rapprochaient de plus en plus de notre habitation. Quelques semaines après notre départ, notre maison a été complètement détruite.»

Les nombreux autres enfants du camp – aucun n'est scolarisé – ont de la terre jusqu'au T-shirt. Seuls les adultes font preuve de l'ingéniosité nécessaire pour rester propres dans la gadoue qui les entoure. Les plus petits courent, pleurent, agrippent les jambes de leur mère, rient, s'amusent entre les abris de fortune, partageant leur terrain de jeux avec les flaques et quelques poulets. Ils sont parfois pieds nus dans des bottes, parfois pieds nus tout court. Des petites jambes apparaissent de temps en temps dans le froid sans protection. Mais malgré la température extérieure, personne n'en fait grand cas. Comme personne n'articulera non plus un seul mot de plainte.

Impossible d'envisager un avenir

Pourquoi avoir décidé d'avoir un enfant, alors que les conditions de vie restent extrêmement rudes pour les réfugiés et qu'aucune sortie de crise ne se profile à l'horizon pour ne serait-ce qu'envisager un retour dans leur pays? «C'est normal. Nous vivons dans les mêmes conditions que tout le monde», répond Hassan, faisant référence aux autres habitants du camp. Quel avenir espèrent-ils alors pour Rahaf? Debout l'un à côté de l'autre, les deux parents laissent passer un silence. «Nous ne savons pas. Nous n'avons pas de projets», finit par lâcher Hassan.

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