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L'invité du «Matin»«On ne fait pas assez confiance à la justice»

Elu il y a deux ans, le procureur général fribourgeois, Fabien Gasser, propose des solutions pour désengorger la justice: condamnation express de hooligans et dépôt de plainte payant notamment. Interview.

Anne Hemmer
par
Anne Hemmer
Fabien Gasser, procureur général du canton de Fribourg.

Fabien Gasser, procureur général du canton de Fribourg.

Philippe Pache

Trop de sanctions pénales, trop de plaintes, mais surtout trop de garde-fous et de contraintes: pour Fabien Gasser, procureur général fribourgeois depuis deux ans, la justice subit trop de pression et doit répondre à trop d'attentes.

- Fabien Gasser, selon vous, la justice ne peut pas faire son travail?

La justice a les moyens de faire le travail qu'elle aimerait faire. Le problème est que beaucoup trop d'attentes pèsent sur elle. Sans compter un Code de procédure pénale qui pose un carcan de méfiance à l'encontre de la police comme de la justice.

- Comment se traduit ce manque de confiance?

Par la mise en place de garde-fous. Trop! On estime par exemple que la présence de l'avocat, dès la première heure, garantit un procès équitable. C'est le cas avec nombre d'entre eux, d'autres cependant ont plutôt tendance à rallonger les procédures. Mais ce ne sont que de mineurs garde-fous et de loin pas le problème le plus important.

- Par exemple?

Je pense notamment au cas de dealers. Pour monter un dossier contre eux, nous pouvons entendre des témoins, tels que des clients, pour connaître la quantité totale de drogue écoulée. Avant, ceux-ci parlaient. Maintenant, l'avocat du prévenu étant dans la salle lors de l'audition, ils préfèrent garder le silence. Nous ne pouvons alors condamner le dealer que pour la quantité de drogue qu'il avait sur lui au moment du flagrant délit, mais pas pour le reste. La peine se traduit par de simples jours-amendes.

- Mais les jours-amendes ne vont-ils pas disparaître?

Seulement ceux avec sursis. Les jours-amendes fermes seront maintenus. En revanche, un nouveau garde-fou a été introduit: les condamnations par ordonnance pénale à de la prison ferme ne pourront plus dépasser 3 mois, ce qui nous restreindra grandement.

- En quoi est-ce un problème?

C'est une compétence très utile, qui permet notamment de raccourcir les procédures en ne renvoyant pas les affaires devant les tribunaux déjà surchargés. L'enlever est injustifié, d'autant que les personnes ont toujours la possibilité de faire opposition contre l'ordonnance.

- Avez-vous fait part de votre point de vue de spécialiste, aux politiques par exemple?

J'ai écrit à la délégation fribourgeoise à Berne, pour qu'ils prennent conscience de ce changement qui est en train d'être introduit par la petite porte. Mais je n'ai pas encore eu de réponse.

- Vous ne vous sentez pas écouté?

De manière générale, non. Les prises de position du monde judiciaire ne sont pas entendues. Le Parlement vient de voter une amende de 100 francs pour les fumeurs de cannabis. On a exprimé le fait que le montant de l'amende importait peu, c'est la quantité de cannabis saisie qui est primordiale. Or 10 grammes, c'est beaucoup trop! Cela représente quelque 30 joints par jour. Il ne s'agit plus d'un petit fumeur, mais déjà d'un petit dealer. Il aurait fallu descendre à 5 voire 3 grammes.

- Vous n'êtes peut-être pas doué comme lobbyiste…

Sans doute. Il faut dire que je ne suis pas intéressé par la chose politique. Et j'ai aussi d'autres chats à fouetter.

- Trop de travail?

Je dirais qu'à Fribourg on arrive à gérer. Nous sommes suffisamment. Cependant, nous avons souvent, comme ailleurs sans doute, trop peu de temps pour nous plonger dans les affaires d'importance, nos bureaux débordant de cas mineurs. Les gens ont une fâcheuse tendance à s'en remettre à la justice pour des situations qui ne le méritent pas. On a un trop grand nombre de plaintes futiles. Que la justice soit gratuite n'aide pas.

- Vous voulez faire payer les plaignants?

Pas dans les cas de cambriolage par exemple. Mais ce serait utile pour les atteintes à l'honneur notamment. Si une dame veut porter plainte contre sa voisine car elle l'a traitée de «conne», et qu'on lui dit que ça lui coûte 500 francs, elle va y réfléchir à deux fois. Sans compter que, dans un tel cas, cela ne mènera souvent à rien, car si la voisine nie, on ne va jamais savoir ce qu'il en est. Mais encaisser des frais à l'avance est impossible selon la loi actuelle.

- Alors comment alléger la justice?

En arrêtant de tout criminaliser. On ferait mieux de miser davantage sur la responsabilité de chacun, plutôt que d'infantiliser les gens. Actuellement, on sanctionne beaucoup trop de comportements.

- Vous voulez dire qu'il faut moins condamner? Moins poursuivre?

Evidemment! Pour la circulation routière par exemple, qui occupe une grande partie de notre temps, je trouve juste qu'on cible les chauffards. Par contre, dénoncer quelqu'un qui n'a pas inscrit son modèle de jante sur sa carte grise n'est pas nécessaire. C'est comme les resquilleurs de transports publics. Ils seront de nouveau poursuivables d'ici à décembre. Cela va nous apporter 1500 dossiers supplémentaires, sans pour autant changer la donne.

- Et les tribunaux des flagrants délits comme certains le proposent. Est-ce une solution?

Cela fonctionne très bien en France. Mais chez nous, ce serait difficile, car nous n'avons souvent pas tous les éléments en main de suite. A Fribourg, nous sommes néanmoins en train de mettre sur pied un système de ce type pour les hooligans.

- Les hooligans seront condamnés sur-le-champ?

Presque! On pourra garder ceux qui sont avinés ou excités durant 24 ou 48 heures. Le temps de pouvoir les entendre dans de bonnes conditions et très rapidement leur signifier leur condamnation par ordonnance.

- Interviendrez-vous directement à la patinoire?

Non, plutôt dans nos bureaux ou ceux de la police. Mais les détails doivent encore être précisés. En espérant que cela puisse entrer en fonction dans le courant de cette saison de hockey. Les partenaires, l'HC Fribourg Gottéron, les clubs de foot, le préfet et la police étant emballés, cela devrait voir le jour en janvier 2013.

FABIEN GASSER EN QUELQUES DATES-CLÉS

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