prison dorée«On veut me faire renoncer à deux ans de salaire»
Ancien espoir du FC La Tour (FR), Zahir Belounis est bloqué au Qatar depuis 2011. Son club refuse de lui délivrer un visa tant qu'il ne renonce pas à ses deux ans de salaire.
- par
- Benjamin Pillard

Zahir Belounis a fait les beaux jours du club gruérien, de fin 2005 à début 2007.
«Je ne peux pas sortir, c'est un vrai cauchemar.» Cela fait deux ans que Zahir Belounis vit sans ressources au Qatar, avec femme et enfants. En 2011 pourtant, cet ancien leader du club de La Tour-de-Trême (FR) menait celui d'El Jaish en 1re division de la ligue qatarienne, jusqu'à jouer la Coupe du monde militaire au Brésil sous les couleurs qatariennes, dont il reçoit même la nationalité pendant deux mois.
A son retour, le milieu de terrain de 33 ans apprend qu'il est prêté à un club de deuxième division. Motif: un nouveau joueur a pris sa place, la Fédération qatarienne n'autorisant que trois footballeurs étrangers par formation.
«C'était humiliant, nous confie le Franco-Algérien depuis son appartement de Doha. Un peu comme si on vous prêtait en 5e division, alors que tout le monde vous connaît comme capitaine du Lausanne-Sport. J'ai dû accepter, je n'avais pas le choix.» Sur le papier, Belounis gardait le même salaire. Il n'en verra plus la couleur. «Le club m'a baladé pendant un an et demi, jusqu'à ce que je décide de l'attaquer en justice. Je voulais vraiment m'arranger à l'amiable, mais je me suis rendu compte qu'on a juste voulu gagner du temps pour que je craque, que je m'essouffle. Que j'abandonne le combat.»
Car, à la fin de sa période de prêt en mai 2012, El Jaish exhorte son ancien champion à signer un document certifiant que le club a honoré son contrat. Sans quoi, il ne lui délivrera pas son visa de sortie du territoire. Pas moyen donc de partir à l'étranger jouer pour une autre formation, à moins de renoncer à son dû. «Je ne céderai pas. C'est une somme importante pour laquelle j'ai sué.» Une pratique loin d'être isolée, à en croire la Confédération syndicale internationale, à l'origine d'une campagne appelant la FIFA à revoter pour que la Coupe du monde Qatar 2022 soit attribuée «à un pays respectant les droits des travailleurs».
Reconversion en Gruyère
Dans le cas de Belounis, le chantage prend également en otage sa femme et leurs deux filles de 3 ans et 18 mois. «J'essaie de rester fort, mais, en restant toute la journée à la maison avec femme et enfants alors que vous êtes le père de famille, j'ai l'impression de ne servir à rien. C'est dur, mais je me bats pour leur bonheur.»
Le trentenaire n'a d'autre choix que de s'entraîner physiquement, en salle de sport et sur le terrain dès qu'une entreprise organise un match, «pour toucher le ballon». «J'estime pouvoir encore jouer deux ans à haut niveau. En même temps, je me suis tellement investi dans cette bataille que je ne sais sincèrement pas si je vais continuer à jouer au foot. Si demain on me proposait un bon job en Gruyère, j'y réfléchirais bien sûr. Ce que j'ai envie, c'est retrouver de la chaleur humaine.»
Ses trois saisons au FC La Tour - Le Pâquier, Zahir ne les oubliera jamais. «Ç'a été un grand moment dans ma vie. La vie à Bulle était agréable et j'adhère complètement aux valeurs suisses.» Sans parler des troisièmes mi-temps mémorables à la buvette du club, «avec tous ces gens humbles qui travaillaient dur la semaine et venaient décompresser le week-end. Beaucoup en parlent encore aujourd'hui, moi le premier.»
Procès reporté au 13 juin
Initialement agendée le 23 mai, l'audience civile qatarienne a été reportée au jeudi 13 juin. Le directeur sportif d'El Jaish a déjà fait savoir que Belounis n'appartiendrait plus au club, bien que son contrat court jusqu'en 2015. «J'ai entièrement con-fiance en la justice qatarienne», déclare le footballeur, qui dit avoir «beaucoup d'espoir» quant à une issue favorable.
Car son «injustice sans nom» de près de deux ans ne l'a en rien dégoûté de l'émirat aux pétrodollars. «Je ne cache pas que c'est un pays où l'on peut bien gagner sa vie. J'ai tenté ma chance et ça a marché. Je suis simplement tombé sur une personne malhonnête au club.» Et de se dire «pas dérangé» par l'organisation qatarienne de la Coupe du monde 2022. «Mon affaire commence à prendre des proportions trop grandes pour mes épaules.» Une prudence compréhensible à dix jours de son face-à-face avec la justice de Doha.
Rien ne semble pourtant gagné d'avance, comme le rappelle le cas du défenseur international marocain Abdeslam Ouaddou, qui avait également attaqué son club qatarien en justice pour douze mois de salaire non payé. De retour en France en novembre, après avoir menacé de saisir la Ligue des droits de l'homme, le joueur de 34 ans n'a toujours pas obtenu gain de cause.