en librairieOTS: «Jo Di Mambro est le mal absolu, le salaud total»
Neuchâtelois d'origine, l'écrivain Julien Sansonnens a choisi l'affaire de l'Ordre du Temple solaire (OTS) pour son polar. Interview de l'auteur, qui s'est focalisé sur l'enfant sacrifiée de la secte, fille du Grand maître.
- par
- Evelyne Emeri
Vous aviez 14 ans au moment des massacres de Salvan (25 morts/VS) et de Cheiry (23/FR) en octobre 1994. Pourquoi ce choix de vous emparer de l'affaire de l'Ordre du temple solaire (OTS) pour votre troisième roman? Vous avait-elle déjà marqué à l'époque?
L'affaire ne m'avait pas plus frappé que cela: à l'époque, j'avais 14 ans et des intérêts d'adolescent. J'avais été beaucoup plus marqué par la disparition tragique de Kurt Cobain, quelques mois avant le drame de l'OTS. J'adorais Nirvana, comme beaucoup de jeunes gens de mon âge.
Plus de vingt ans plus tard, je me suis emparé de l'affaire de l'OTS par une succession de faits que certains pourraient appeler «hasard». Je venais de terminer mon deuxième livre et cherchais des idées en vue d'écrire un polar. J'ai eu envie que l'action se situe en Valais, canton magnifique et mystérieux (ndlr. où il vit depuis 4 ans). En me replongeant dans les grandes affaires criminelles qui ont secoué le Vieux-Pays, je suis très vite tombé sur l'OTS. J'ai parcouru distraitement un ou deux articles, ayant une idée assez vague de ces événements qui ne m'intéressaient pas plus que cela. Et très vite, j'ai été emporté, littéralement fasciné par l'immensité de ce qui s'est joué. Plus je lisais sur «l'affaire», moins je comprenais le sens d'un tel drame. J'ai passé plus d'un an à lire tout ce que je pouvais, à regarder des centaines d'heures d'émissions consacrées à l'OTS. J'en suis venu à m'intéresser aux protagonistes, aux personnes décédées: qui étaient-elles, comment des scientifiques, chefs d'entreprise, artistes ont-ils pu rejoindre une telle organisation? Peu à peu, mes questions ont porté sur des aspects moraux: qui sont les coupables et qui sont les victimes? L'affaire de l'OTS est d'une incroyable complexité et permet une plongée dans l'obscurité de la psychologie humaine.
«L'enfant cosmique» est le personnage central de votre ouvrage. Emmanuelle Di Mambro,12 ans, fille de Jo Di Mambro, assassinée avec sa mère à Salvan, semble vous captiver. Expliquez-nous ce choix.
Le fait que des enfants aient été tués constitue évidemment le fait le plus révoltant et le plus inconcevable de toute l'affaire. Cette petite fille a eu une existence hors du commun, puisqu'elle est née au sein de l'OTS et a été conçue comme un Christ nouveau, destinée à mourir pour racheter l'humanité. J'ai cherché à comprendre ce qu'a pu être sa brève vie, en devant «combler les lacunes» par le travail d'écriture. L'intérêt pour Emmanuelle Di Mambro vient aussi de la relation qu'elle a entretenue avec son père. Jo Di Mambro est sans doute l'une des figures contemporaines du «mal absolu», le salaud total. Et pourtant il était aussi un père de famille aimant, très proche de sa fille, avec qui il jouait, partait en vacances, faisait la cuisine ou allait au cinéma. Cette complexité, cette ambivalence du bien et du mal est vertigineuse.
Vous dites vous situer entre l'essai et le roman pour raconter les derniers jours du Temple solaire. Vous parlez également d'une réflexion sur l'ambivalence du bien et du mal.
Précisément. L'affaire de l'OTS est souvent présentée comme un suicide collectif, or c'est évidemment bien plus compliqué que cela. Le drame a été préparé de longue date par des personnes qui pensaient de bonne foi travailler pour le bien de l'humanité. Beaucoup sont à la fois victimes, puisque endoctrinées, et coupables, ayant suivi les ordres ou pris des initiatives parfois effroyables. Nous ne sommes pas loin de la thèse d'Hannah Arendt (ndlr. journaliste, philosophe et politologue allemande) sur la banalité du mal.
Vous jetez un regard critique sur le Valais d'aujourd'hui, pays de contraste, entre ouverture touristique et inclination au secret. Périlleux grand écart.
Le drame de l'OTS a eu lieu dans les cantons de Fribourg et du Valais, dans des arrière-pays ruraux ou montagnards, des lieux isolés… Deux cantons catholiques, dans lesquels l'Eglise a joué et continue de jouer un rôle spirituel, social et culturel important. Est-ce une coïncidence? Que peut-on dire de cela? Je remarque qu'en Valais, le rapport à la mort est lui aussi complexe. Certaines morts semblent presque «nobles», accidentés de la montagne ou victimes d'avalanche dont la mémoire est saluée, tandis que les suppliciés de l'OTS n'ont eu droit à aucun monument, aucune stèle: les chalets ont été rasés et puis on a reconstruit par-dessus, il ne reste rien. Ces morts seraient-elles particulièrement honteuses? Dans ce livre, je pose plus de questions que je n'apporte de réponses.
evelyne.emeri@lematin.ch
*«L'enfant aux étoiles», Editions de l'Aire, Vevey (VD), en librairie depuis aujourd'hui.
L'auteur, Julien Sansonnens, sera présent à la Fête du livre de Saint-Pierre-de-Clages, les 25 et 26 août; au Livre sur les quais, à Morges, les 1 et 2 septembre; dédicaces chez Payot, à Lausanne, le 15 septembre; au Festival du livre suisse, à Sion, les 22 et 23 septembre.