Transsexuel«Papa est devenu une femme»
Marc*, 57 ans, vient de changer de sexe. Sa fille raconte comment la transition a bouleversé ses repères familiaux.
- par
- Laura Juliano
Laurie, une Genevoise de 28 ans, considérera toujours son père comme un homme, même opéré.
«Mon père m'a téléphoné et m'a dit: «Tu vas avoir une deuxième maman.» Je pensais qu'il parlait de ma belle-mère avec qui il était et qu'ils allaient se marier, raconte Laurie, 28 ans. Ce à quoi, il m'a répondu: «Non, ta deuxième maman, c'est moi.» Il n'a pas choisi les bons mots. Une maman, j'en ai déjà une.»
Ce père, appelons-le Marc, sait depuis l'âge de 6 ans qu'il n'est pas né dans le bon corps. Il aurait dû être une fille. Pourtant, ce n'est qu'une fois passé la cinquantaine, après 20 ans de mariage et deux enfants avec une première femme, suivis de 10 ans de vie de couple avec une seconde, qu'il se décide à sauter le pas pour s'offrir le corps qu'il estime être le sien. En juillet 2010, suite à la mort de sa mère, le cordonnier genevois installé en France annonce à ses enfants son intention de se faire opérer pour changer de sexe.
Une nouvelle qui a fait l'effet d'une bombe. «C'est moi qui l'ai annoncé à ma mère, poursuit Laurie. Elle a dû revivre ses 20 ans de mariage en se demandant s'il y avait des signes qu'elle n'avait pas perçus. En fait non, il a bien caché son jeu.»
«Ne m'appelez plus papa»
Si la jeune fille admet avoir eu des doutes en surprenant son père certains soirs, déguisé en femme, s'acheter des magazines de mode ou se faire percer les oreilles, elle était loin de se douter de ce qui se tramait. «Je pensais qu'il était bisexuel, mais pas qu'il allait se transformer en femme! Après une grosse crise de larmes sous la douche, j'ai tenté de m'habituer à l'idée. Mais lorsque je l'ai revu quelques mois plus tard, chez lui, un matin, en nuisette, ça m'a fait un choc! Après cela, je ne l'ai plus vu pendant un an et demi. C'était trop pour moi. J'avais besoin d'une coupure.»
Durant ce répit, Laurie consulte des associations et des psychiatres spécialisés dans le domaine du transgenre. «J'ai fini par me déculpabiliser de n'avoir pas réussi à accepter. Je suis passée par la colère, la culpabilité, et enfin, par l'acceptation. Il est comme ça, on ne le changera pas.» Elle finit par admirer le courage de son père qui assume désormais sa nouvelle personnalité et tente une réconciliation en reprenant contact avec lui.
«Seulement, voilà. Il ne voulait plus qu'on l'appelle papa, regrette-t-elle. Il voulait qu'on l'appelle Sarah! Toute référence à lui en termes masculins était interdite. Mais pour moi, Sarah, c'est quelqu'un d'autre. Je ne savais plus où me situer par rapport à lui et à elle. Ce sont comme deux personnages dans un même corps. Il a fini par accepter que je continue à l'appeler papa. Quoi qu'il fasse, à mes yeux, il restera toujours un homme.»
Tandis que Sarah entretient une relation privilégiée avec son fils de 31 ans, Laurie peine encore à trouver ses marques dans le nouveau schéma familial. «Etant une femme, je représentais ce qu'il voulait être», relève-t-elle.
Un deuil blanc
Peu à peu, Marc a su apprivoiser son image en tant que Sarah. «Avant, j'aurais eu honte de me promener avec lui dans la rue, parce qu'on voyait encore clairement que c'était un homme, confie Laurie. Son opération et sa mammoplastie – effectuée en septembre dernier – ont amélioré les choses. Il a aussi appris à s'habiller et se maquiller sans verser dans le vulgaire ou le déguisement. Désormais, ça ne me pose plus de problème.» La nouvelle reste toutefois difficile pour la jeune fille à partager avec son entourage. «Pas tout le monde peut comprendre. Il y a toujours le risque de perdre des amis en route. Mais ça reste mon père, donc je me battrai bec et ongles pour le défendre.»
Marc s'est envolé début février pour Bangkok afin de subir l'opération chirurgicale pour laquelle il se prépare et suit un traitement hormonal depuis un an. Il sera de retour dans sa demeure en France, dans trois semaines, pour poursuivre sa convalescence.
«En fait, il faut faire un deuil blanc. Je sais que je ne le retrouverai jamais comme avant. Mais au moins, maintenant, il est vraiment heureux. C'est le raisonnement qu'il faut avoir, soutient Laurie avec conviction. Mais de leur côté, les transsexuels doivent comprendre que si pour eux l'annonce est un heureux moment libérateur, pour la famille, c'est un choc et l'acceptation est un long chemin.»
* Prénom d'emprunt