JusticePas de rente AI pour les dépressifs
Contrairement à un arrêt rendu il y a 2 ans, le Tribunal fédéral a durci dans les faits l'accès à l'assurance invalidité. Inquiétudes.
- par
- Christine Talos

Plus de 300 millions de personnes sont atteintes de dépression dans le monde, selon l'OMS.
La décision avait suscité beaucoup d'espoir en juin 2015. Le Tribunal fédéral (TF) avait alors assoupli sa jurisprudence en matière d'octroi de rentes Assurance invalidité (AI) pour les personnes souffrant de maladies psychosomatiques. Jusque là, les patients souffrant de maladies chroniques ou de douleurs inexplicables n'avaient pas droit à l'AI car le TF présumait que la souffrance ressentie pouvait être surmontée par un effort de volonté.
Depuis deux ans, ces pathologies sont désormais considérées comme pouvant conduire à l'invalidité, ouvrant ainsi plus largement la porte aux prestations de l'AI. Hic: dans les faits, la loi est loin d'avoir été assouplie, souligne lundi le Tages-Anzeiger. Spécialement en ce qui concerne les dépressifs.
Un durcissement
En effet, deux ans après l'arrêt du TF, une étude de la faculté de droit de l'Université de Zurich qui s'est penchée les décisions de justice concernant ces cas, montre que l'on assiste à un durcissement. Sur 220 verdicts rendus, un seul a abouti sur l'octroi d'une rente AI.
«Contrairement à ce qui a été annoncé par la Haute Cour, on assiste bel et bien à durcissement progressif», estime le professeur de droit Thomas Gächter. Ce qui l'inquiète: «selon notre analyse, on a l'impression que l'AI fait tout pour ne pas octroyer de rentes et que le Tribunal fédéral la soutient. Alors que le TF devrait corriger l'AI au moins dans certains cas. »
Les dépressifs en ligne de mire
Selon l'expert, cette détérioration est particulièrement claire en ce qui concerne la dépression. Ce qui est étonnant, puisque le TF a souligné à maintes reprises dans le passé que l'on ne pouvait pas appliquer les mêmes normes à cette maladie que dans les cas de troubles de la douleur. «Ce que dit la Cour suprême désormais, c'est qu'une dépression, même modérée, n'est invalidante que s'il n'y a rien à faire sur le plan thérapeutique», explique l'expert. En clair: si un dépressif veut obtenir une rente AI, c'est à lui de prouver qu'il a épuisé tous les traitements possibles et qu'il est résistant à toutes les thérapies.
Et ce jugement pose un problème. Car de telles preuves sont extrêmement difficiles à démontrer par le corps médical, selon le professeur Thomas Gächter. Ce qui explique notamment pourquoi les personnes ayant développé une dépression en raison de troubles de la douleur de longue date ne reçoivent toujours pas de rente AI, souligne-t-il.
Contre l'avis des experts
Ce durcissement concerne aussi ceux qui souffrent depuis plusieurs années de dépression, selon un avocat lucernois interrogé par le Tagi et qui s'occupe de plusieurs clients dans cette situation. Ainsi l'AI a refusé de verser des rentes à un patient qui a dû être hospitalisé pour dépression modérée, sans amélioration aucune. L'affaire est désormais dans les mains de la justice cantonale. «Ce qui est grave», estime l'homme de loi, c'est que «désormais on n'examine plus à quel point la maladie limite la personne. On dit simplement que la dépression n'est pas incurable et on rejette la rente dès le départ.»
Ainsi l'AI et le TF ont rejeté à plusieurs reprises l'octroi de rente, contre l'avis des experts. Pire, selon un avocat zurichois, l'AI ignorerait même les recommandations de son propre service médical régional, si celui-ci est favorable au patient. La plupart du temps, on espère que le patient n'ira pas en justice en cas de pension rejetée, selon lui.
Médecins inquiets
Du côté médical, on s'inquiète également de ce durcissement. Exiger d'un dépressif qu'il prouve avoir épuisé tous les traitements possibles ou qu'il est résistant à toutes les thérapies n'est juste pas possible dans la pratique, car cela peut durer plusieurs années. «Si on demande que l'on teste tous les traitements sur un assuré, il faut alors vérifier que l'assurance maladie le prenne en charge», estime le professeur de droit Ueli Kieser.
Son confrère Thomas Gächter abonde dans son sens et a même demandé des corrections dans la jurisprudence fédérale. «Puisque le traitement de la dépression modérée dure habituellement quelques années et que de nombreux assurés sont limités dans leur capacité de travailler durant cette période, ils devraient au moins obtenir une rente provisoire», demande-t-il. Jusqu'ici, le TF a toujours refusé ces pensions temporaires dans le domaine de la psychologie.