Suisse: Peu de bourreaux indemnisent leur victime

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SuissePeu de bourreaux indemnisent leur victime

Les personnes battues, violées ou séquestrées reçoivent souvent à peine un tiers du montant obtenu pour tort moral.

(Photo d'illustration)

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Les personnes battues, violées ou séquestrées n'obtiennent que rarement la réparation à laquelle elles ont droit pour tort moral. Leurs bourreaux n'ont souvent pas les moyens de payer. Bon nombre de victimes reçoivent au final à peine un tiers du montant espéré.

Les personnes lésées peuvent faire appel aux autorités cantonales d'aide aux victimes, quand les agresseurs ne peuvent pas s'acquitter des sommes fixées par les tribunaux. Mais elles se voient rarement octroyer des montants comparables: certaines, insatisfaites, font recours. En 2016, l'Office fédéral de la justice (OFJ)a reçu 14 arrêts de tribunaux administratifs sur des recours, et 24 en 2015.

Prudence

Le plus souvent, ceux-ci sont rejetés. Les victimes ont vu augmenter leur réparation morale dans trois cas en 2016 et six en 2015. «Ces chiffres sont à considérer avec prudence», indique cependant à l'ats Monique Cossali, cheffe de l'unité projets et méthode législatifs à l'OFJ. Les recours contre les autorités d'indemnisation ne suffisent pas à démontrer que le droit est mal appliqué, assure-t-elle.

Comme les frais d'avocats sont, sous conditions, pris en charge par l'Etat, certains avocats sont tentés de conseiller à leurs clients de faire recours, même si la cause est perdue d'avance, explique Monique Cossali. En outre, des cantons omettent de fournir les arrêts et ceux qui parviennent à l'office portent parfois sur des questions de procédure, d'où la difficulté d'avoir une vue d'ensemble.

«Marge d'appréciation»

Reste que les critiques continuent de fuser quant à l'octroi par les services d'aide de montants souvent bien inférieurs à ceux fixés par les tribunaux. «Le rôle de l'Etat est d'accorder un soutien financier, pas de dédommager les victimes à hauteur des sommes décidées lors des jugements», souligne un responsable du service juridique de la sécurité et de la justice valaisan.

Les cantons ne versent que très rarement l'entier des montants, abonde Henri Angéloz, de l'autorité d'indemnisation fribourgeoise. Le plus souvent, Fribourg alloue des sommes situées «entre un et deux tiers de celles décidées par le tribunal pénal». L'Etat n'a pas à payer la totalité du montant et le lésé pourra toujours demander le solde à la personne fautive, par exemple à sa sortie de prison.

Selon la responsable de l'OFJ, il ne devrait pas y avoir de grandes différences de générosité d'un canton à l'autre, avec le système plafonné entré en vigueur en 2009. Depuis lors, l'aide est limitée à 70'000 francs pour les victimes d'infraction et la moitié pour les proches, selon la loi sur l'aide aux victimes d'infractions (LAVI). Mme Cossali évoque toutefois «une certaine marge d'appréciation».

Une réduction générale

Le responsable valaisan préfère parler d'«excès ponctuels dans le pouvoir d'appréciation» laissé aux autorités d'aide. «Le canton ne prend pas en compte la gravité de la faute des auteurs d'infractions pour arrêter un montant, mais l'état et la situation des victimes»: les sommes sont donc en général revues à la baisse, mais il arrive qu'elles le soient beaucoup trop, affirme-t-il.

Plus généralement, la fixation de maxima dans la loi et d'autres valeurs de références dans un guide de l'OFJ ont eu pour effet un abaissement général des sommes allouées dans le cadre de la réparation morale. «Cette diminution a été voulue par le législateur, qui a entendu le souhait des cantons», rappelle la représentante de l'office.

Selon l'étude «La pratique en matière de réparation morale à titre d'aide aux victimes», parue dans la revue juridique suisse Jusletter en juin 2015, le montant le plus élevé versé à une victime se situait alors à la moitié du maximum de 70'000 francs. D'après les responsables cantonaux interrogés, Berne devrait au moins détailler le guide de l'OFJ, et les victimes devraient être mieux informées.

«Comme une injustice»

Car dans des cas de grands écarts entre les sommes fixées par les tribunaux et celles octroyées par les cantons, les personnes lésées «perçoivent la décision comme une injustice et courent même le risque de la ressentir comme une nouvelle atteinte», relève l'étude.

S'ajoute à cela que certaines séquelles d'agressions ne sont pas considérées comme des «atteintes graves», tels les troubles du sommeil ou psychiques, pour lesquelles les victimes obtiennent très souvent 1000 francs ou moins. Les plus grosses sommes sont réservées pour les cas de lésions corporelles très graves comme l'invalidité totale permanente, mais ces cas juridiques sont extrêmement rares.

(ats)

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