ConsommationPour fidéliser ses clients, Migros installe des machines à sous
Il est possible de gagner le montant de ses courses dans les supermarchés du géant orange. Un moyen de conserver sa clientèle durant le creux commercial du mois d'août.
- par
- Frédéric Vormus

Les Shop & Win sont placés après les caisses de la plupart des supermarchés Migros.
Après la Mini mania, la Suisse mania ou la Nanos mania, une nouvelle folie gagne les clients du géant orange: le jeu. Ce n'est pas encore Las Vegas mais les machines à sous placées après les caisses de la plupart des supermarchés Migros font grimper la fièvre. Aussitôt leurs emplettes effectuées, les acheteurs viennent tenter leur chance sur un bandit manchot numérique en espérant gagner, en bon-cadeau, le montant de leurs courses. Intitulé «Shop & Win», l'outil vise à fidéliser la clientèle qui semble majoritairement s'en accommoder, au contraire de certains spécialistes, plus sceptiques sur la méthode.
Pour Fabrice Leclerc, chargé de cours en innovation à HEC Lausanne, c'est une première: «Cette hybridation entre le jeu de hasard et la grande surface, c'est quelque chose que je n'avais encore jamais vu. C'est malin de la part de Migros qui suscite ainsi une excitation après l'acte d'achat et une satisfaction immédiate en cas de victoire. Cela donne envie de rejouer et donc de revenir.»
En se postant à côté d'une de ces machines, au magasin Closelet à Lausanne, force est de constater l'engouement. Vers midi, les gens se succèdent à un rythme rapide pour scanner leur ticket. «J'essaie, on ne sait jamais, témoigne une habituée. Chaque fois que je viens, je joue. Ça m'amuse et ça ne coûte rien.»
57 francs de gain en moyenne
Au contraire de Migros qui, en plus des coûts liés aux bornes et à l'infrastructure technologique, doit récompenser les gagnants. «La somme totale de gains est fixée à 1 million de francs pour la durée totale de la promotion», révèle Tristan Cerf, son porte-parole. Le jeu a commencé le 2 août et se poursuit jusqu'au 4 septembre. Sur son site, tous les gains sont affichés en temps réel. Comme l'enseigne a refusé de donner des détails, nous avons relevé les montants de la journée de vendredi 25. Ainsi, environ 45 000 francs ont été remportés par 769 participants. La moyenne s'élève donc à 57 francs. La somme de 10 francs est la plus fréquemment gagnée puisqu'il s'agit du gain minimum. 600 francs ont été remportés par un chanceux ce jour-là.
Dans la grande distribution, les marges représentent souvent 40% du prix de vente. Le million distribué ne reviendrait plus qu'à 600 000 francs pour la coopérative. De plus, comme le rappelle Fabrice Leclerc, «puisque les gains sont versés en bon d'achat, le client est captif. Il doit retourner à la Migros pour le dépenser. Cette loterie s'avère un bon outil de fidélisation. Elle s'inscrit dans la continuité des Mini mania et autres offres destinées aux enfants. Désormais, ce sont les classes populaires et moyennes adultes qui sont visées avec ce jeu.» Une campagne de fidélisation relativement peu onéreuse. Alors que des enfants mineurs peuvent jouer, Migros assure pourtant que son offre «n'est pas assimilable à une loterie car la participation est gratuite. De ce fait, aucune autorisation particulière n'est nécessaire.»
«Cette hybridation entre le jeu de hasard et la grande surface, c'est quelque chose que je n'avais encore jamais vu»
Loterie ou pas, le sociologue Sami Coll trouve choquant que des machines à sous prennent place dans des supermarchés à la seule fin de fidéliser la clientèle: «Le principe n'est pas éloigné de la carte de magasin qui permet de collectionner des points. Migros, jusqu'alors, se contente d'offrir des réductions. Avec Shop & Win, elle donne l'impression de vouloir ajouter une dimension plus amusante. Cela n'a plus la rationalité froide du simple décompte.» Par ce moyen, la grande distribution veut «enchanter», selon ses termes, l'acte d'achat. Un mécanisme que Sami Coll résume par: «Aller acheter des pommes de terre doit devenir aussi amusant que de faire du shopping.»
«Gamification» et panier moyen
Une autre chercheuse, Marta Kwiatkowski Schenk, qui travaille à l'institut Gottlieb Duttweiler, spécialisé dans l'étude de la distribution, parle de «gamification»: «Plus les offres et les produits sont semblables à ceux de la concurrence, plus le commerce de détail essaie d'aborder les clients sur un plan émotionnel afin que l'achat devienne expérience. Les gens apprécient les jeux et l'amusement.»
Difficile de connaître l'impact sur le chiffre d'affaires. «Nous nous sommes fixé des objectifs sur la base des promotions passées mais nous ne donnons en revanche aucun renseignement sur le panier moyen», objecte Migros, par la voix de Tristan Cerf. Interrogés, les clients assurent ne pas remplir plus leur caddie dans la simple perspective de pouvoir le gagner. Aucun ne semble avoir la machine à sou en tête durant ses déambulations dans les travées de la grande surface.
Marta Kwiatkowski Schenk n'est pas convaincue de l'impact du jeu sur le montant des achats: «Il est difficile de dire si Shop & Win conduit à une augmentation des dépenses. Plus nombreux sont les tickets de caisse, plus grandes sont les chances de gagner. Les clients viennent peut-être plus souvent mais achètent alors moins à chaque passage. Dans le magasin, on se laisse souvent tenter par des offres. Une augmentation des ventes pourrait intervenir même si celle-ci ne dépassera pas la durée de la campagne. En fait, c'est plutôt un mécanisme pour des périodes plus calmes.»
Traditionnellement, dans le commerce de détail, le mois d'août est le plus calme de l'année. Les enseignes doivent donc ruser pour continuer d'attirer le chaland. En misant sur les jeux de hasard, Migros pourrait avoir trouvé un moyen de combler le trou de l'été.