VaudProcès de l'inceste: «La justice vaudoise a surréagi»
Le Vaudois, père de huit enfants, recourt contre sa condamnation à 18 ans de prison. Son avocat estime que la Cour a voulu compenser l'inaction des services sociaux par une sanction exemplaire.
- par
- Evelyne Emeri
Et s'il n'avait rien fait? Et si le doute ne devait pas mieux lui profiter? Et si cet homme de 41 ans, en exécution de peine, avait été jugé trop sévèrement par le Tribunal criminel d'Yverdon (VD)? C'est tout l'enjeu de l'appel que Me Loïc Parein a déposé auprès du Tribunal cantonal. Au cours du procès en mars dernier, son client n'a eu de cesse de nier, contester, réfuter. Il a traité de menteurs ses trois enfants majeurs, venus à l'audience. Yeux dans les yeux, il a dit à son aînée de 22 ans qu'il ne l'avait jamais touchée et qu'il l'aimait toujours.
C'est elle qui a sauvé ses cinq frères et ses deux sœurs, en finissant par dénoncer, en 2015, les assauts sexuels, physiques et psychologiques de son père – avec la complicité de sa mère (ndlr: condamnée à 3 ans dont 6 mois ferme) – subis depuis 2004. Les viols, les coups, la sexualité débridée et désinhibée entre eux, l'animalité, la négligence, la sous-alimentation, les carences affectives et éducatives. Onze ans de sévices.
La chaîne des responsabilités
Cette même grande sœur a brisé le silence et le vase clos imposés par ses parents sous peine d'expéditions punitives supplémentaires. Cette histoire impossible et irracontable n'a pas fini d'interloquer s'agissant de la responsabilité du Service de protection de la Jeunesse (SPJ), du réseau d'intervention (pédiatres, pédopsychiatres, enseignants, éducateurs, responsables de foyers) et de la justice de paix. Depuis près de vingt ans (!), tous étaient chargés d'encadrer deux parents, faibles d'esprit et en détresse. Tous étaient censés protéger, aussi, chaque enfant né et à naître. Devant pareil échec, quelques heures après le verdict du 29 mars, le Conseil d'État annonçait sans surprise l'ouverture d'une enquête indépendante, confiée à l'ancien président du Tribunal fédéral, Claude Rouiller.
Une défense basée sur le doute
«Et si tout était faux? Face à l'indicible, le premier réflexe, c'est l'excès pour compenser le vide. Il faut examiner chaque accusation avec scrupule, de qui elles proviennent et leurs variations. On leur laisse leurs enfants (ndlr curatelle dès 1997), même s'ils sont débordés. On les confronte à leurs manquements (hygiène, insalubrité…) et ça échoue. Il n'y a pas d'intention de mauvaise éducation. Sans la répétition des accusations de viol en octobre 2016 lors de la libération de mon client, celui-ci comparaîtrait libre. Deux autorités, dont le ministère public ici présent, avaient conclu au doute.» En mars, la plaidoirie de la défense était déjà musclée.
Aujourd'hui, après le verdict massue de 18 ans de prison ferme – 2 ans de plus que requis par le procureur – le recours était attendu. «L'attention est immédiatement polarisée par la lourdeur de la sanction. On ne peut s'empêcher d'avoir la désagréable impression que la justice vaudoise a surréagi là où le réseau de prise en charge est mis en cause pour son inaction», affirme l'avocat du condamné. L'épisode de Moudon est également un argument repris par le pénaliste. Moudon, là où le père aurait de nouveau abusé de sa deuxième fille dans une chambre d'hôtel alors qu'il avait été remis en liberté après sept mois de détention préventive, tandis que son frère cadet allait acheter des sandwichs.
Nouvelle épreuve pour la fratrie
«Il y a franchement quelque chose qui ne joue pas. D'abord, les différentes déclarations ne concordent pas. La vidéosurveillance établit ensuite les allées et venues du frère. Il n'y a matériellement pas eu assez de temps pour qu'il se passe ce que décrit l'accusation (ndlr: relation contrainte). Le père et la fille ne sont restés seuls que quelques minutes et de manière discontinue.» En réalité, une fois trois minutes. Puis à nouveau, trois minutes. Et, enfin, quatre. Dix minutes hachées, qui laissent la porte grande ouverte au doute. «Quand il y a un doute, on acquitte, martèle Me Loïc Parein. Et c'est un doute qui irradie tout le reste du raisonnement.»
La date de l'audience au Tribunal cantonal n'est pas encore connue. Pour la fratrie qui a été crue et reconnue en première instance, c'est une nouvelle épreuve qui s'amorce.