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FootballQuel projet de jeu pour les clubs romands?

Les clubs romands souffrent tous du même mal: la difficulté d'intégrer les nouvelles recrues et de définir un projet commun. A quoi cela tient-il?

par
Nicolas Jacquier
AFP

En vacances, au camping ou sur un terrain de campagne quelconque, la scène n'a pas pu vous échapper cet été; peut-être y avez-vous même participé: à l'occasion de la Coupe des Flots Bleus (traditionnel tournoi de l'après-midi, coincé entre piscine et apéro), les «footeux» se retrouvent tous, pieds nus ou équipés, derrière un ballon. Très vite, les équipes se font, on baragouine dans toutes les langues, on s'organise. Et ça joue naturellement, parfois même plutôt bien, chacun se comprenant instinctivement, alors que le Suédois ignore tout de son «coéquipier» – le temps d'une partie de plaisir – français…

Cette cohésion immédiate ne colle pourtant pas à la réalité de la Super League. Transposée dans le monde des professionnels, elle n'existe pas; il faut la créer d'abord puis la développer, ce qui prend toujours beaucoup trop de temps et coûte vite des points. C'est l'époque bénie de la mayonnaise tartinée à toutes les sauces, qui tarde à prendre quand elle ne tourne pas au vinaigre.

Le problème de la vitesse

Interrogeons-nous: pourquoi ce que des touristes en goguette réussissent (trouver une identité de jeu), des pros ne parviennent-ils pas à le reproduire d'office? «Question de rythme et d'intensité, tranche Sébastien Fournier. Tout le monde peut jouer au ralenti, avec un ballon de plage. Mais dès que le rythme s'accélère… Or le football de haut niveau va toujours plus vite, avec, pour conséquence immédiate, de retarder la cohésion.» Ce qui se ressent au niveau des automatismes.

Alors que le fonds de commerce de la Praille a été renouvelé en profondeur, Servette n'est pas le seul club à souffrir d'une identité de jeu peu représentative du potentiel que ses dirigeants ont imaginé construire. Tant Lausanne que Sion, à l'échelon supérieur, souffrent d'un problème analogue en termes de cohésion et de difficulté d'intégration des nouvelles recrues, ce que confirme leur peu glorieux classement.

Pour Laurent Roussey, le quotidien d'un coach est, de façon générale, pollué par les dérives du football actuel. «Le football est devenu le sport collectif le plus individualiste du monde, déplore le coach du LS. L'ego constitue un frein à la construction d'un projet collectif (…). Etonnamment, les vraies stars sont faciles à gérer. La difficulté provient plutôt des joueurs qui pensent être très bons et qui ne le sont pas.»

Des soucis de communication (en raison de la barrière de la langue), un tournus plus important qu'outre-Sarine, où les effectifs y sont plus stables, des lacunes techniques plus surprenantes sanctionnent aussi d'autant le fragile équilibre que constitue la gestion d'un effectif professionnel. «On est dans un cycle de construction, reprend Fournier. Ce n'est pas en quelques semaines que Servette aura un jeu au niveau du nom qu'il représente.»

Après s'être égarés lors des premières journées, Valaisans, Vaudois et Genevois sauront-ils mieux se trouver dès ce week-end? C'est le prix de la fameuse mayonnaise de l'été pour éviter de nouvelles salissures. Tandis que là-bas, au camping des Flots Bleus…

LAURENT ROUSSEY, coach du Lausanne-Sport

«Accepter de partager les mêmes valeurs»

«La vie du ballon, sa circulation réussie dépend pour beaucoup de celle de l'équipe. Afin de dégager une unité de pensée commune dans le jeu, une identité forte, il faut que chacun accepte de partager les mêmes valeurs, les mêmes idées. A Lausanne, il manque encore trop de pièces, en raison des blessures, au puzzle que l'on cherche à assembler. On est contraint de se disperser, de ne pas se focaliser uniquement sur le terrain. D'autres paramètres nous parasitent. Tout le temps et l'énergie que l'on consacre pour mettre chacun à niveau, on ne l'a pas pour être créatif. Il y a encore un trop grand décalage entre nos envies et la réalité.»

MICHEL DECASTEL, coach du FC Sion

«On souffre d'un manque de vécu partagé»

«Intégrer autant de nouveaux joueurs (ndlr: onze dans le cas valaisan) ne se fait pas d'un coup de baguette magique ni par enchantement. Créer des automatismes nécessite du temps, donc de la patience. Un premier but, a fortiori une première victoire, permettrait d'accélérer cette cohésion. L'équipe souffre essentiellement d'un manque de vécu partagé. Des discussions cette semaine ont permis à chacun d'exprimer son point de vue. Dans le même temps, des cours de français ont permis aux non-francophones de commencer à se débrouiller. Ce que j'attends? Qu'un leader naturel s'impose au sein du groupe afin d'ouvrir la voie…»

SÉBASTIEN FOURNIER, coach du Servette FC

«Les ego peuvent nuire à l'équilibre collectif»

«Il est plus aisé de créer un état d'esprit, qui se fait naturellement, qu'une cohésion, qui répond à des facteurs moins maîtrisables, plus complexes. Tant que les individus choisis n'ont pas été mis ensemble, on ne sait pas trop ce que leur addition peut donner. Dès que l'on touche au groupe, il y a des intérêts personnels qui surgissent aussi. Les ego peuvent nuire à la recherche de l'équilibre collectif. A Sion,je pouvais m'appuyer sur Gattuso comme premier relais. Trouver de la spontanéité et de l'efficacité dans le jeu prend forcément du temps. A Genève, notre niveau d'entraînement n'est pas encore celui d'une équipe qui viserait la promotion.»

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