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RéactionsRacistes et égoïstes, les Suisses?

Vu de l'étranger, le vote anti-immigration est massivement critiqué, à l'exception notable des droites dures européennes qui applaudissent.

Ludovic Rocchi
par
Ludovic Rocchi

Hier, internautes, éditorialistes et politiciens ont fini de s'enflammer autour du vote positif de dimanche sur l'initiative de l'UDC «Contre l'immigration massive». Une vague de réactions en Suisse tout d'abord, à l'image de notre site Internet, où on s'engueulait pour savoir s'il fallait ou non avoir «honte d'être Suisse», comme a osé le déclarer le maire de Haute-Ajoie (JU), Michel Baconat, à propos du vote positif de sa région («Le Matin» d'hier). Mais le débat déborde largement nos frontières et c'est plutôt gratiné.

Vu de l'étranger, grossièrement résumé, nous passons au mieux pour des profiteurs, au pire pour des racistes. Ou, alors, nous sommes défendus par des avocats pas forcément des plus recommandables, soit les leaders des principales formations d'extrême droite en Europe (lire ci-dessous). Pour ne prendre que la France, il y a le choix entre une pichenette du genre de celle du militant d'extrême gauche Philippe Poutou et son tweet: «Après la votation en Suisse: unité contre le racisme!» Ou la grosse tape dans le dos de la présidente du Front national, Marine Le Pen, saluant le matin sur Europe 1 «le bon sens» des Suisses.

Entre deux, il y a les piques plus contenues des officiels, genre Laurent Fabius pour qui «c'est un vote préoccupant parce qu'il signifie que la Suisse veut se replier sur elle-même». Le président du Parlement européen, Martin Schulz, lui, s'est montré plus direct sur la RTS: «L'UDC a fait appel aux plus bas instincts.» Voilà qui fait écho à des titres spécialement durs en Allemagne, où Die Zeit voit la Suisse faire un «fuck» à l'Union européenne, tandis que la Berliner Zeitung évoque «un racisme qui fait mal».

Gare aux amalgames

Alors, ces Suisses de l'après- 9 février, seraient-ils devenus d'incurables xénophobes, eux qui ont déjà interdit les minarets comme il est souvent rappelé dans les médias étrangers? Présidente de la Commission fédérale contre le racisme, Martine Brunschwig Graf conteste ce genre d'amalgame. «On sait bien qu'il existe des xénophobes en Suisse, comme ailleurs, dit-elle. Les affiches détestables sur la montée de la population musulmane ont pu les séduire. Mais il est erroné d'interpréter le vote de dimanche comme xénophobe en premier lieu.» Comment expliquer alors ce signe de fermeture? «Il faut y voir l'expression d'un ras-le-bol diffus contre toute sorte de problèmes, comme l'a montré le débat. Contrairement aux initiatives Schwarzenbach des années 1970, le sentiment antiétranger n'était pas au centre des discussions. La meilleure preuve, c'est que les cantons où vivent le plus d'étrangers sont ceux qui ont refusé l'initiative.» Pour résumer, Martine Brunschwig Graf estime «déplacé et même dangereux de commencer à traiter quelqu'un de xénophobe, juste parce qu'il dit avoir peur pour son emploi».

Reste le reproche de peuple égoïste, à l'image de ce tweet de Jean-Michel Aphatie, chroniqueur à RTL et à Canal+: «L'idéal #suisse? Ouvrir secrètement des comptes bancaires aux étrangers mais refuser qu'ils viennent travailler légalement chez eux. Pas mal.» Ou plus posée, cette analyse du politologue Jean-Yves Camus dans Libération: «L'égoïsme économique est la principale composante de ce vote.» Politologue de l'Université de Genève, Pascal Sciarini corrige cette image de gros profiteurs: «J'ai été interrogé toute la journée par des médias étrangers et c'est plutôt l'incompréhension qui l'emportait face à un pays dont le taux de chômage est si bas et l'économie bien portante. Les Suisses sont plutôt vus comme des enfants gâtés qui se tirent une balle dans le pied que comme des profiteurs.» Au final, c'est peut-être le célèbre Spiegel allemand qui nous tend le miroir le mieux biseauté et le moins déformant: «La Suisse va extrêmement bien, mais elle se croit toujours au bord du gouffre.»

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