Vaud: Sara, étranglée à Yverdon: la défense tancée en tentant de disculper le suspect

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VaudSara, étranglée à Yverdon: la défense tancée en tentant de disculper le suspect

La Cour d’appel a refusé toutes les requêtes visant à innocenter Fazal* de l’assassinat de la réfugiée de 17 ans. Pas de peine confirmée ou infirmée ce mardi.

Evelyne Emeri
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Evelyne Emeri
Vendredi 27 décembre 2019, la jeune Afghane a rendez-vous avec son petit ami à Yverdon. Le 6 janvier 2020, elle sera découverte sans vie dans les roseaux (à dr.), situés à proximité de ce banc à l’embouchure du canal du Bey.

Vendredi 27 décembre 2019, la jeune Afghane a rendez-vous avec son petit ami à Yverdon. Le 6 janvier 2020, elle sera découverte sans vie dans les roseaux (à dr.), situés à proximité de ce banc à l’embouchure du canal du Bey.

lematin.ch/Evelyne Emeri

Sara avait 17 ans lorsqu’elle disparaît le vendredi 27 décembre 2019 en début d’après-midi. La réfugiée afghane sera retrouvée sans vie le 6 janvier 2020 dans les marais à l’embouchure du Bey près des rives du lac, à Yverdon (VD). Étranglée avec des lacets de chaussures, jetée et dissimulée dans les roseaux à proximité. La veille de la découverte macabre, un suspect, désormais âgé de 23 ans, est interpellé. Également ressortissant afghan, Fazal*, son petit ami (ndlr. ils sont en train de se séparer ou pas, selon les pièces au dossier) passe aux aveux.

Des aveux «extorqués sous la contrainte et les menaces des inspecteurs», selon son avocat Me Ludovic Tirelli. Il se rétractera aussitôt après cette audition de sept à huit heures. Depuis, il clame son innocence. En décembre 2022, le Tribunal criminel de la Broye et du Nord vaudois l’a condamné à 20 ans de réclusion pour assassinat, une mesure d’internement simple (al. 1) et une expulsion du territoire pour une durée de quinze ans. Son défenseur avait fait appel.

Report d’audience visé

Ce mardi 6 juin, l’assassin toujours présumé de Sara comparaissait précisément devant la Cour d’appel pénale. Le ton des débats a tout de suite été donné. Non pas tant par la défense mais par le comportement des trois juges qui ont visiblement croulé sous les réquisitions de l’avocat de l’appelant et encore ces tout derniers jours. Ils n’ont pas caché leur agacement. Au point que la présidente Sandra Rouleau s’y est reprise à deux fois pour stopper et suspendre la plaidoirie des réquisitions de Me Tirelli afin d’entendre une série de témoins. Le juge Marc Pellet de lâcher: «Vous n’allez pas vous conformer aux injonctions de la Cour?». Une interruption sèche alors même que l’homme de robe se battait pour un report d’audience afin de faire valoir de nouveaux éléments de preuves. 

Pièces incomplètes

«Des doutes, il y en a partout, sur les circonstances, sur l’établissement des faits. L’acte d’accusation est le récit de l’imaginaire du Ministère public. Nous avons droit à un procès équitable.» Pour l’avocat de la défense, les pièces au dossier sont incomplètes. Il s’est donc attelé à lister ses requêtes et à argumenter. À requérir la reconvocation de l’oncle de Sara devant la Cour d’appel, sachant que ce n’est pas forcément lui qui a aidé financièrement la famille. 20 000 francs volés par Sara du reste. «C’est elle qui écrit dans un échange Instagram avec Fazal que c’est son père qui a donné cet argent. Aurait-il pu lui vouloir du mal?» poursuit-il. Ce père introuvable et qui aurait, peut-être, été vu par un témoin au volant d’une voiture à la sortie de l’école de Sara à Sainte-Croix.

Un internement sans experts

Aussi exigée l’audition d’un médecin de Curabilis où le prévenu a séjourné après son arrestation parce qu’il menaçait de s’ôter la vie. Le praticien aurait affirmé que Fazal n’était pas apte à être entendu lors de sa fameuse audition d’aveux au lendemain de la découverte du corps de la jeune Afghane. Audition que Me Tirelli souhaite toujours faire retrancher. L’homme de loi veut encore faire venir les deux experts psychiatres qui n’ont même pas été convoqués en première instance et qui ne se sont pas prononcés sur la question, selon lui. Ce qui n’avait pas empêché le Tribunal criminel d’Yverdon de retenir un internement sécuritaire (ndlr. «simple» et non «à vie»).

Puis il y a cette témoin qui assure avoir vu Sara le lendemain de sa disparition près du Mc Donald d’Yverdon. Et cet ADN retrouvé sur les lacets qui ont servi à la tuer. «Pas suffisant, ce n’est pas un ADN interprétable, la correspondance est partielle, clame la défense, Il s’agit d’ADN par transfert secondaire. Ils se sont embrassés dans le cou ce jour-là, caressé les cheveux». Pas satisfaisant non plus d’avoir fait l’économie de l’analyse du jeans, des chaussures et du sac de sport de l’accusé.

«Ils parlent de mariage»

La montre de Sara. «Pourquoi ne pas mettre en œuvre une expertise qui dira si cette montre bon marché à piles s’est arrêtée immédiatement par court-circuit (dans la vase) à 06h44 ou 18h44? Une belle preuve disculpatoire» ajoute le défenseur. «Les messages Instagram infirment le tableau de l’emprise. Fazal est soutenant. Ils parlent de mariage, de rendre l’argent à son père. Sara se confie quand elle se dispute avec sa maman. C’est lui qui se distancie, leur relation pose problème (à la famille de la jeune fille). Et Sara écrit un poème, une déclaration d’amour encore en décembre. Elle dit qu’elle veut mourir pour être tranquille et que seule la mort la rendra heureuse. Ceci est une pièce maîtresse».

Rejets multiples

Me Ludovic Tirelli se sera bien battu, longtemps. En deux phrases et sans motivation, la Cour d’appel rejettera le tout, sans surprise. L’ambiance est à ce point délétère que l’avocat requiert de se faire relever de son mandat d’office: «Je ne peux plus faire mon travail, je ne vois pas à quoi je sers. Je ressens une apparence de prévention même si tous je vous aime bien (s’adressant à la Cour). Et si vous refusez, je dépose une requête en récusation de la Cour». Rejet encore. Double rejet. Les deuxièmes juges statuent sur leur propre récusation.

Fazal sera interrogé vingt à trente minutes par la présidente. C’est tout. Aucune question de la procureure Claudia Correia, ni de Me Manuela Ryter Godel, avocate de la mère de Sara, de son frère aîné et de ses deux sœurs cadettes. Le prévenu et Me Tirelli seront bousculés jusqu’à la relecture des déclarations du jour du prévenu. «Vous êtes sûr que ce sont les questions de style qui vont jouer un rôle» se permet le juge Patrick Stoudmann.

«Pas de place pour le doute»

Au moment de plaider, la défense a repris globalement l’argumentaire de ses multiples réquisitions rejetées. Pour la procureure Claudia Correia, il n’y a pas de place pour le doute (ndlr. in dubio pro reo) et se réfère intégralement au jugement de première instance: «Sara voulait le quitter, c’est bien le mobile. Il y a des montagnes de preuves dans ce dossier. La défense instille le doute, c’est la méthode du saucisson». Quant à l’avocate des parties civiles, Me Ryter Godel a parlé de la méthode de l’écran de fumée: «Le but, c’est de vous faire perdre de vue l’essentiel et de vous faire croire à une coquille vide. On vous a offert une version qui se base sur un tout petit doute alors que tout a été investigué».

Dernier détail piquant après dix heures d’audience: pas de lecture de jugement pour pareille affaire. Le verdict du Tribunal cantonal sera notifié aux parties par écrit. 

*Prénom d’emprunt

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