Interview: «Snowden me rappelle ma mère»

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Interview«Snowden me rappelle ma mère»

Jean-Michel Jarre sera (enfin) ce soir à Montreux avec son double projet «Electronica».

Laurent Flückiger
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Laurent Flückiger
«Cette aventure m'aura permis, sinon de me retrouver, de me trouver», Jean-Michel Jarre, artiste

«Cette aventure m'aura permis, sinon de me retrouver, de me trouver», Jean-Michel Jarre, artiste

EPA GUILLAUME HORCAJUELO, Keystone

Si le 50e peut être l'occasion de tous les excès, alors la venue de Jean-Michel Jarre et évidente. Le Français est l'homme des performances immenses, à Houston ou au pied des pyramides de Gizeh. Patatras, l'artiste ne prévoit pas de lightshow sur le Léman mais un concert au Stravinski. Il n'empêche: il nous promet du grand spectacle, d'autant plus que la sortie de ses deux volumes «Electronica» avec une trentaine d'invités, de Cyndi Lauper à Yello en passant par Jeff Mills, est plutôt excitante.

Vos deux disques «Electronica» vous ont pris cinq ans de votre vie. Pourquoi?

C'est devenu l'un des projets les plus ambitieux de ma vie. Les années 2009 et 2010 ont été difficiles, j'ai perdu mes parents et mon éditeur historique. Ce projet a été un voyage initiatique: il s'est développé de manière beaucoup plus importante que je ne le prévoyais. L'idée était de faire un album avec des gens qui sont une source d'inspiration pour moi. Ils ont tous dit oui, et je me suis retrouvé avec deux heures et demie de musique!

Ces artistes, vous les avez rencontrés?

C'était un principe: à l'époque où on s'envoie des fichiers par le Net, où les featurings sont du marketing, je voulais voir les gens chez eux. Mon second principe était de composer un morceau en fonction du fantasme que j'avais d'eux. Ils m'ont tous fait l'amitié d'ouvrir leur porte et de me donner le meilleur d'eux-mêmes.

Vous avez sûrement dû vous demander pourquoi vous aviez travaillé seul jusqu'à présent…

Oui, vous avez raison. Nous pensons vivre dans une société où nous sommes connectés avec le monde, mais nous parlons moins avec notre voisin. La technologie donne ce double vertige. La plupart de ceux que j'ai rencontrés sont comme moi, à s'isoler dans un studio pour créer. Ouvrir sa porte, partager ses secrets, ses tics, ses tocs demande beaucoup de générosité. J'ai été très touché, et c'est une démarche qui m'a beaucoup appris. Cette aventure m'aura permis, sinon de me retrouver, en tout cas de me trouver.

Cyndi Lauper, Pet Shop Boys ou Yello, qu'avez-vous en commun avec eux?

Beaucoup. Nous plaçons la mélodie au centre de notre musique, nous sommes des sales gosses de la technologie. Tous ces gens sont un peu décalés par rapport au système et sont des activistes. Dans la musique électronique, il y a le côté hédoniste, qui fait qu'on va danser toute la nuit, et le côté social, politique.

Quand vous parlez d'activiste, on pense à Edward Snowden, qu'on entend sur «Electronica 2». Un formidable coup marketing!

Je ne suis bien évidemment pas parti de ce point de vue. Snowden a toute sa place parce que le thème de l'album, que j'ai découvert à mesure que je le faisais, est notre rapport à la technologie, à la surveillance. J'ai été très touché par son histoire. Il m'a fait penser à ma mère, qui s'est engagée dans la résistance dès 1941. A cette époque-là, les Français voyaient les résistants comme des fauteurs de troubles. Mais, si on y réfléchit, toutes les fois où nous avons progressé socialement, c'est allé à l'encontre du pouvoir en place. Le grand mérite de Snowden est d'alerter sur l'usage abusif de la technologie. Je pense que ce n'est pas le rôle d'un artiste de transformer la scène en plate-forme politique. En revanche, de le faire à travers sa musique, oui.

Vous êtes l'homme des concerts gigantesques. Pourquoi vous contenter de l'Auditorium à Montreux?

L'importance d'un lieu se mesure à sa symbolique. Pour moi, Claude Nobs est l'une des âmes de la musique mondiale. Il a eu la clairvoyance de réunir tous les genres sous la bannière du jazz. C'est un grand honneur de jouer au Stravinski. Ce sera très visuel, ça a de plus en plus d'importance pour moi. J'ai conçu une scénographie qui emprunte à la fois au théâtre et à la technologie numérique.

Patrick Juvet sera-t-il sur scène? Vous aviez produit «Paris By Night» en 1977…

Je serais ravi de collaborer de nouveau avec lui, comme je l'ai fait avec Christophe. Dans le cadre de ce concert, ça s'intégrerait plus difficilement. Mais je considère toujours que Patrick est un très grand mélodiste, quelqu'un qui a un univers très original, et ça reste une des grandes rencontres de ma vie.

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