Football: Stocker: «Certaines décisions m'ont blessé»

Publié

FootballStocker: «Certaines décisions m'ont blessé»

Le milieu du Hertha Berlin retrouve l'équipe de Suisse, onze mois après. Avec la sagesse de ses 27 ans, il raconte le tunnel qu'il a connu, ses blessures et ses joies. Notre interview complète.

Simon Meier
Feusisberg
par
Simon Meier
,
Feusisberg
Valentin Stocker, très lucide sur sa vie de footballeur professionnel.

Valentin Stocker, très lucide sur sa vie de footballeur professionnel.

Laurent Crottet

Valentin Stocker, comment avez-vous vécu ces onze mois loin de l'équipe de Suisse, privé de jeu à Berlin?

C'est incroyable comme le foot va vite. Honnêtement, tout ce qu'il y a eu de négatif durant l'année écoulée, je l'ai déjà oublié. Tout ce qui compte, c'est le moment présent. Ces dernières semaines, j'ai vécu une belle renaissance avec le Hertha Berlin, avec ce but contre Schalke et de bonnes performances ensuite. Tout à coup, tout marche, tout est à nouveau positif. C'est la preuve qu'il vaut parfois la peine de se battre, de ne pas baisser pavillon au premier vent contraire.

«Renaissance», c'est un mot fort. Etiez-vous mort?

Non, naturellement pas (il rigole). Mais c'est bien d'exagérer, des fois. Pour moi, les choses ne se sont pas passées selon l'idée qu'on a pu en avoir dans les médias. Les périodes difficiles ne sont pas si difficiles que ça, dans le sens où je me sens extrêmement bien et en confiance avec mon entourage. Je vis à Berlin avec ma copine, mon soutien principal. Ce n'est pas parce que cela va mal dans ton boulot que la vie n'est pas belle. Et tout n'est pas beau non plus maintenant, sous prétexte que cela va mieux sur le terrain. On relativise.

Après ce but contre Schalke ,votre réaction a été très forte… Qu'avez-vous ressenti durant ces quelques secondes?

J'essaie simplement de rester fidèle à qui je suis. A ce moment, j'ai repensé à toutes ces situations pas faciles, que ce soit à l'entraînement, certaines décisions… Je ne dirais pas que j'ai été mal traité. Mais j'avais parfois l'impression que je recevais beaucoup moins en retour de ce que je donnais. A Bâle aussi j'avais connu ça: tout d'un coup, la récompense arrive et oui, ce sont pour ces moments-là que je joue. Ma réaction, c'était simplement l'expression de ma joie.

Y avait-il un sentiment de revanche, aussi?

Non, le mot est trop dur. C'était davantage de la satisfaction.

Que n'avez-vous pas reçu que vous pensiez mériter durant ces mois?

Je ne serais pas capable de vous citer un cas précis. Mais il y a eu un certain nombre de matches durant tous ces mois à Berlin où, depuis le banc, je me disais que je serais peut-être capable d'aider l'équipe.

Comment se passe le retour avec la Suisse ici à Feusisberg, y a-t-il quelque chose de changé?

Non, la plupart des visages sont les mêmes. Quelques mois, c'est long dans le football. Mais dans la vie, ce n'est pas tant. Les gens, que je connais pour certains depuis presque dix ans, ne changent pas tant que ça.

Avez-vous conservé des contacts depuis un an?

Avec le sélectionneur, j'ai échangé quelques SMS. Et avec mes coéquipiers, à commencer par les ex-Bâlois, j'ai toujours gardé des contacts réguliers. Et quand je croisais des coéquipiers en Bundesliga, les échanges ont toujours été bons.

Vous vous êtes déclaré déçu d'avoir appris votre non-sélection pour l'Euro par SMS…

Oui, mais je ne veux pas faire une grande histoire avec ça. Il s'agissait plutôt de souligner le fait qu'avec moi, il était possible de parler ouvertement, de dire les choses. Simplement. Mais le fait de ne pas avoir été en France, je l'ai très bien compris.

Comment voyez-vous votre carrière en équipe nationale, n'a-t-elle pas un côté inachevé?

Cela ne sert à rien de se demander ce que les choses auraient pu être si elles s'étaient passées différemment. J'essaie de donner le meilleur de moi et je prends ce qui vient, à l'image de mon but contre la Slovénie – c'était bien, quand j'y repense. Maintenant, comme toujours, je suis là pour aider et j'espère que ce sera le cas dès vendredi en Hongrie. La situation se présentera sûrement, où je pourrai montrer ce dont je suis capable. C'est pour ça que je suis là: aider dans les moments difficiles. C'est un peu le visage que j'ai pris, à Berlin aussi.

En venez-vous à souhaiter du mal aux autres afin de prendre leur place?

On est tous là depuis assez longtemps pour ne pas penser comme ça. Je me vois comme une partie de l'équipe et j'espère que nous gagnerons. Nous avons super bien commencé contre le Portugal et si nous continuons sur cette voie vendredi en Hongrie, ce serait un très bon sentiment pour la suite de la campagne.

Lequel de ces événements a-t-il le plus nui à votre carrière avec la Suisse: la blessure au genou du 23 avril 2011 ou cette première mi-temps complètement ratée, collectivement d'ailleurs, contre l'Equateur en entrée de Mondial 2014?

(Silence). C'est une bonne question. En termes de durée et de jeu, je pense que les ligaments, c'était plus grave. Mais dans la tête, c'est vrai que l'histoire au Brésil a été spéciale. Un certain nombre de personnes, dont je garderai les noms pour moi, ont estimé que c'était le bon moment pour dire du mal de moi. Je me suis senti impuissant.

Vous êtes-vous senti dans la peau du bouc émissaire?

Oui, en quelque sorte, et des gens ont cherché ça, pas seulement dans les médias. Mais c'est désormais du passé.

Quand personne ne s'attend à te voir sélectionné, tu ne peux pas dire «non je ne veux plus venir»

Vous n'avez plus joué une seule minute du tournoi, par la suite…

C'est difficile de parler de ça, un jour peut-être, plus tard. Mais il y a eu une ou deux choses qui n'étaient pas correctes envers moi – je les garde pour moi. J'aurais volontiers essayé d'aider l'équipe durant cette prolongation contre l'Argentine. Mais c'est comme ça, il faut respecter les décisions.

A-t-on le droit d'être sensible en tant que footballeur pro?

Oui, bien sûr. Dans certaines situations, on voit ça comme une faiblesse. Je suis le dernier qui considérera le fait de montrer sa sensibilité, ses sentiments, comme une faiblesse. Se cacher l'est davantage. Nous évoluons dans un milieu de compétiteurs, on ne montre pas toujours tout. Mais oui, certaines décisions m'ont blessé.

Avez-vous un jour craint de ne jamais retrouver l'équipe de Suisse?

Non, je n'ai pas pensé à ça. Je me faisais du souci parce que je ne pouvais pas donner plus que ce que je donnais à Berlin, or je ne jouais pas. Mais je savais que, dès le moment où je retrouvais mon niveau en club, l'équipe nationale suivrait automatiquement.

Avez-vous songé à mettre vous-même un terme à votre carrière internationale

Non. (Il hésite). J'ai réfléchi à beaucoup de choses mais, à mes yeux, dès le moment où on n'est pas sélectionné, on ne peut pas arrêter. J'arrêterai le jour où, étant sélectionné, je sentirai que la flamme n'est plus là. Quand personne ne s'attend à te voir sélectionné, tu ne peux pas dire «non je ne veux plus venir».

En novembre passé à Vienne, vous aviez été «accusé» d'être la taupe à la base d'un article de l'Aargauer Zeitung, qui dénonçait des soucis de clans et d'identité en équipe de Suisse… Quel regard portez-vous sur cet épisode?

C'est aussi un sujet très spécial. J'ai été très déçu et blessé. Mais ça aussi, c'est oublié, passé. Toute cette histoire est venue de l'extérieur, pas de l'équipe. A l'époque, j'aurais volontiers donné mon opinion sur la question. Mais personne n'est venu me la demander, les gens se cachent volontiers dans la masse, ce qui pour moi est un signe de faiblesse.

L'équipe de Suisse, en tant qu'«unité de vie», a-t-elle beaucoup changé?

Je ne sais pas. Mais quand je pense à cette histoire en Autriche, j'ai le sentiment que… Je ne sais pas… C'est devenu un peu plus libre. Tous, ensemble. A l'époque, nous étions pas mal à ne pas trop jouer en club. En ce moment, j'ai le sentiment que chacun est au milieu de soi-même. Que chacun a trouvé son centre, est satisfait. C'est la prédisposition pour jouer au football avec succès.

A 27 ans, après beaucoup de succès puis un certain nombre de déceptions, comment mesurez-vous le parcours accompli? Vous sentez-vous plutôt jeune ou vieux?

Plutôt vieux (il rigole). Je me sens en fait très reconnaissant d'avoir pu fêter autant de succès. A part cette blessure aux ligaments croisés, j'ai toujours été en bonne santé. Donc j'éprouve une grande reconnaissance pour ces neuf-dix années dans le football professionnel, où j'ai accompli tant de choses, en jouant souvent un rôle central. J'ai déjà reçu bien plus du football que ce que j'aurais jamais rêvé.

Ton opinion