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NavigationSur le Léman, le terrain de jeu des jet-skis français pourrait déborder jusqu'en Suisse

La France vient d'autoriser l'utilisation de scooters nautiques dans une zone définie du Léman. Pascal Guarnieri a décidé d'en faire un business, dont les contours légaux laissent la police suisse démunie.

par
Lucien Christen
Pascal Guarnieri a ouvert un commerce de location de jet-skis vendredi, près d'Evian (F), profitant d'une décision française.

Pascal Guarnieri a ouvert un commerce de location de jet-skis vendredi, près d'Evian (F), profitant d'une décision française.

Nicolas Righetti

Des jet-skis sur le Léman. Depuis le début du mois, la pratique est légale sur une portion française du lac. «On m'appelle de toutes les régions de France et de nombreux cantons suisses pour réserver des sorties. J'en suis à près de 500 demandes», lance Pascal Guarnieri, surexcité. Le citoyen de Maxilly-sur-Léman, bourgade française située en face de Lausanne, vient d'ouvrir un commerce de location de ces embarcations motorisées. «Pour l'instant, je possède cinq jet-skis, mais je pense m'agrandir.» Il pense aussi créer un «port» spécial pour jet-skis, qui serait destiné aux propriétaires suisses. «Et pourquoi pas devenir revendeur de ces machines», glisse-t-il encore.

Pascal Guarnieri est un personnage. Superactif, obstiné. Il se bat depuis plus de 10 ans pour que son sport favori soit autorisé sur le plan d'eau franco-suisse. Et chuchote avoir donné des cours «au patron de Swatch». Cette semaine, l'entrepreneur savoure la victoire: le préfet de la Haute-Savoie vient de créer une zone dédiée à la pratique du jet-ski, entre 10 h et 18 h, quotidiennement, comme le révélaient nos confrères de La Côte, lundi. Un espace large de 18 km pour 6 de long, jusqu'au milieu du lac, à la frontière suisse. L'arrivée de ces machines ultrarapides et décriées par les écologistes fait grand bruit. Côté helvétique, l'inquiétude grandit: les pilotes vont-ils respecter la zone prévue ou vont-ils déborder sur nos rivages?

Grand flou juridique

«En 2015, j'ai traversé le lac en direction d'Ouchy (VD) avec mon jet-ski, raconte Pascal Guarnieri. Je voulais y boire un café. Je suis entré dans le port visiteur pour accoster mais la police du lac m'a intercepté. Ils m'ont demandé ce que je faisais là, ils criaient que les jet-skis étaient interdits en Suisse. Mais mon scooter était en règle, homologué en France. Ils n'ont pas pu me coller d'amende.»

L'anecdote de l'entrepreneur de 54 ans met en évidence le problème que rencontrent actuellement les autorités lacustres de notre pays. Car s'il est impossible d'homologuer un jet-ski en Suisse, la question de son utilisation en eaux helvétiques reste floue. L'Office fédéral des transports (OFT) déclare que «les jet-skis ne sont pas explicitement interdits (sauf sur le lac de Constance et les lacs tessinois). En Suisse, ils sont assimilés aux bateaux de plaisance.» Une catégorie elle-même définie dans la loi fédérale en fonction de divers critères combinant puissance et longueur de l'embarcation. Critères excluant, de fait, l'homologation de ces «microbateaux». La loi française permet, en revanche, l'immatriculation de ces mêmes véhicules. C'est là que le bât blesse, car l'accord franco-suisse régissant la navigation sur le Léman est clair: «Un bateau construit et équipé conformément aux règles internationales et au droit français (pour des bateaux stationnés en France), est autorisé à naviguer sur tout le lac Léman.»

Les jet-skis tricolores peuvent donc visiter les ports suisses? «En principe oui, affirme Florence Pictet, porte-parole de l'OFT. Il est en revanche possible que des règles de police locales limitent cette pratique.» D'après notre rapide coup de sonde, de telles limitations n'existeraient pas, les ports partant du principe qu'en Suisse, les jet-skis sont interdits.

La police sous l'eau

Alors, qu'en pensent les polices du lac vaudoise et genevoise? «La décision française est unilatérale. Elle ne change rien à l'interdiction formelle qui fait foi en Suisse», répond simplement Jean-Christophe Sauterel, directeur prévention et communication à la police cantonale vaudoise. Les forces de l'ordre nationales vont-elle donc sévir? À la police vaudoise, on n'évoque aucune sanction éventuelle à l'encontre des jet-skieurs trop aventuriers.

À Genève, on est un peu plus précis, tout en renvoyant la balle du côté français. «L'arrêté préfectoral de nos voisins est clair. Il définit une zone précise du côté français pour l'utilisation des jet-skis, commente Silvain Guillaume-Gentil, porte-parole de la police cantonale. Dès le moment où les usagers quitteraient cette zone, ils seraient en infraction. S'ils s'aventuraient en eaux genevoises, nous les dénoncerions aux autorités françaises.» Que feraient alors nos voisins? Le mystère reste entier pour la police genevoise.

Subtilités suisses

Pascal Guarnieri rit jaune en évoquant ce débat juridique. «Les autorités ne veulent rien dire, parce qu'elles savent que nous sommes dans notre bon droit. Les gens peuvent naviguer, nous sommes dans la légalité», tranche-t-il avec aplomb. Moniteur de jet-ski depuis 17 ans, il avoue pratiquer son sport sur le Léman depuis 1999. «Je n'ai jamais payé d'amende», dit-il fièrement, brandissant un classeur de décisions de justice.

Pour l'entrepreneur, la création de cette zone spéciale, bien que temporaire, est tout de même une bonne chose. «Même si dans les faits je suis convaincu de pouvoir naviguer partout, cette zone est amplement suffisante pour la pratique de mon activité de moniteur. Lors de chaque briefing de sécurité, avant les cours, je vais rappeler les règles françaises et suisses. Mon but n'est pas d'envahir le lac.»

À l'intention des Suisses qui rêvent de posséder un scooter aquatique, il révèle une autre subtilité juridique, qui nous a été confirmée par l'OFT. «En Suisse, les jet-skis ne peuvent être immatriculés seuls. En revanche, s'ils sont attachés à la coque d'un bateau (sorte d'amarrage sur le pont arrière, ndlr), alors là, ils sont considérés comme faisant partie intégrante du bateau. Ils peuvent donc être homologués avec l'embarcation principale, comme un ensemble.» Selon cette éventualité, le propriétaire n'aurait donc plus qu'à se rendre dans la zone française pour utiliser sa machine.

Suisses et Français devront donc s'asseoir autour d'une table et discuter d'un nouvel accord sur la navigation sur le lac Léman. D'ici là, les affaires de Pascal Guarnieri vont continuer. Son téléphone sonne. «Encore une réservation.»

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