Bienne: «Ma petite maman, je t’ai apporté fièrement mon premier masque»

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Bienne«Ma petite maman, je t’ai apporté fièrement mon premier masque»

Elle produit avec succès des masques en microfibres certifiés, mais un monde s’écroule pour l’entrepreneuse Babette Keller Liechti: sa maman a été terrassée par la Covid. Témoignage.

par
Vincent Donzé
Arlette Siegenthaler Golfier a été terrassée par la Covid au home de la Jardinerie de Delémont.

Arlette Siegenthaler Golfier a été terrassée par la Covid au home de la Jardinerie de Delémont.

DR

Le destin est cruel pour Babette Keller Liechti. Au moment où cette entrepreneuse diffuse à large échelle un masque antibactérien certifié par la task force Covid-19 du Conseil fédéral, avec de la fibre d’argent pour renforcer les filaments en polyester, la pandémie lui enlève sa maman, Arlette Siegenthaler Golfier. «Elle nous a quittés le jour de son 81e anniversaire où elle est partie toute seule, suite à une longue agonie», précise l’avis mortuaire publié mercredi dernier.

Dans cet avis, Babette et sa sœur Corinne remercient le personnel soignant du home de la Jardinerie de Delémont qui leur a permis d’accompagner leur mère aux travers de leurs lignes téléphoniques privées.

Maladie neurologique

Atteinte d’une maladie neurologique incurable nommée «Cluster Headache», l’entrepreneuse biennoise Babette Keller Liechti (57 ans) a besoin d’oxygène, ce qui la rend très vulnérable à la Covid-19. Pour la présidente de la société Keller Trading, développer un masque avec son partenaire coréen était une évidence dès Noël, bien avant la déferlante européenne du virus.

Les microfibres, elle connaît, après avoir produit des serviettes de polissage et des gants de présentation pour l’horlogerie, puis des gants démaquillants pour la cosmétique, fabriqués avec un fil composé de 330 filaments tricotés.

Beaucoup de colère

«Mon but n’est pas de faire de l’argent, mais de protéger la population», nous disait l’autre jour Babette Keller Liechti, saluée en 2009 par le Prix Veuve Clicquot. Chroniqueuse au «Matin-Dimanche», Babette Keller Liechti sait exprimer ses sentiments. À l’invitation du «Matin.ch», elle rend hommage à sa maman avec, de son propre aveu, beaucoup de colère.

«S’il y a un message que j’aimerais faire passer, c’est l’importance de l’accompagnement de nos aînés à travers les tablettes. Cet accompagnement n’avait jamais été organisé de la sorte dans ce home, et nous avons tous constaté à quel point il a apporté du réconfort et de l’apaisement à ma mère, mais également au personnel soignant, livré à lui-même. Nous avons toutes beaucoup pleuré», écrit-elle en préambule.

Babette Keller Liechti

Babette Keller Liechti

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Babette Keller: «Ce n’est qu’un au revoir, maman…»


«Depuis bientôt une année, à l’annonce des premiers cas de Covid en Asie, j’ai pris la décision de développer un masque pour protéger mes collaborateurs, ma famille et nos clients de ce virus, un masque communautaire en microfibres extrêmement protecteur, réutilisable et surtout confortable».

«Les développements nous ont pris un certain temps, mais la première semaine de juin, nous étions fin prêts à le faire homologuer, selon les directives de la task force, la première semaine de juin aussi, ma petite maman, je t’ai apporté fièrement mon premier masque, que tu pouvais porter, mais qu’à l’extérieur du home, étant donné que vous deviez porter un masque chirurgical en papier».

«À la mi-octobre (date de l’homologation de notre masque) et suite à une montée de température, tu étais déclarée positive aux tests. Très vite, tu n’arrivais plus à t’alimenter».

Manque de place

«Quand j’ai demandé au personnel soignant de t’hospitaliser, on m’a répondu que tu n’allais pas être prise en charge par manque de place, et qu’il serait dommageable que tu sois seule dans un milieu non familier. J’ai donc pris la lourde décision de ne pas te déplacer et j’ai demandé au personnel soignant de pouvoir te voir aux travers de mon portable, le matin et le soir, de manière à ne pas t’abandonner et à t’accompagner dans cette pénible épreuve».

«Je ne savais pas à ce moment-là, ce à quoi tu allais être confrontée. Après quatre jours, tu étais sous assistance en oxygène. Tu ne parlais plus, tu ne mangeais plus, et ton corps se crispait de plus en plus. Dès le vendredi tu n’arrivais déjà plus à fermer la bouche».

«J’ai demandé à plusieurs reprises quand est-ce que le médecin devait venir te voir. La réponse a été chaque jour pareille, il passera demain! Le mardi, le médecin n’était toujours pas à ton chevet. J’ai donc exigé que l’on t’administre de la morphine pour t’aider à te détendre. Coup de gueule qui a finalement été entendu par les infirmières qui doivent avoir l’accord du médecin pour le faire».

Capture d’écran

«C’est seulement après avoir envoyé une capture d’écran par mail de toi mourante dans ton lit, que le médecin a répondu à mes demandes de contact. «Mais Madame, il y a tellement de malades». La honte…»

«J’ai accompagné plus de dix jours ma petite maman. Chaque matin et chaque soir, au travers de mon iPhone, et j’ai prié pour elle à haute voix afin d’invoquer Dieu et tous les anges, afin que son supplice se termine. J’ai découvert que mes prières l’apaisaient, mais qu’elles apaisaient également toutes les jeunes femmes du service qui travaillent sans compter à accompagner nos seniors que la société ne daigne plus soigner!»

«Je remercie chaleureusement ces jeunes femmes de m’avoir permis d’accompagner ma mère par le biais de leurs téléphones personnels durant cette période de calvaire. D’avoir pu croiser son regard et de la rassurer de mon mieux pour l’aider à partir sans qu’elle ne comprenne ce qui lui arrivait».

Ultime cadeau

«Dimanche 8 novembre, c’était la date de son anniversaire. Après notre rencontre matinale virtuelle, j’ai demandé à Dieu qu’il lui offre pour ultime cadeau de l’emporter auprès de lui. Au fond de mon cœur, je crois savoir que c’est le plus beau cadeau qu’il pouvait lui faire, que de soulager ces souffrances et cette longue agonie».

«Inutile de souligner qu’aux travers des réseaux sociaux, j’invoque depuis des mois une prise de conscience nationale sur les conséquences de ce virus, qu’aujourd’hui je ne connais que trop bien. Je travaille depuis plus de onze mois sans relâche, sur ce sujet avec des virologues reconnus».

«Pourtant, sous prétexte que l’on veut sauver l’économie, on la maintient sous perfusion en sacrifiant des vies, alors que la deuxième vague n’est pas terminée. On ne cherche pas à savoir comment seront les prochaines».

«Une fois que les avis mortuaires de nos séniors seront vides de leurs sacrifices, qui seront les prochains sur la liste, ceux qui auront contracté le virus plusieurs fois?»

Babette Keller Liechti présidente & Fondatrice de Keller Trading

Du chagrin, mais aussi de la colère est exprimé dans l’avis mortuaire.

Du chagrin, mais aussi de la colère est exprimé dans l’avis mortuaire.

Lematin.ch/Vincent Donzé

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