Interview«Tous les Romands détestent l'accent genevois»
À cause de Jean-Luc Mélenchon, la glottophobie s'est invitée dans le débat français. Mais les discriminations liées à l'accent existent aussi chez nous, explique le linguiste Mathieu Avanzi.
- par
- Renaud Michiels

Selon Mathieu Avanzi, les Romands pensent que c'est à Genève qu'est parlé le meilleur français de Suisse.
Glottophobie, soit la discrimination linguistique, notamment liée aux accents régionaux. Le terme s'est imposé dans le débat public français la semaine dernière suite au dérapage de Jean-Luc Mélenchon. Il avait singé l'accent toulousain d'une journaliste avant de demander qu'on lui pose des questions «en français»…
Depuis, on discute, on dissèque, on débat et la députée Laetitia Avia (En Marche) a même proposé de reconnaître la glottophobie dans la loi «comme source de discrimination». «Je vois mal comment on pourrait concrètement appliquer une telle loi. J'ai un peu l'impression qu'on s'agite pour faire parler de soi», réagit le linguiste français Mathieu Avanzi.
Après avoir longtemps travaillé dans les Universités de Neuchâtel ou Genève, ce spécialiste est aujourd'hui chargé de recherche à l'Université catholique de Louvain, en Belgique. On fait le point avec lui sur la glottophobie.
La glottophobie, c'est du racisme?
De la discrimination, plutôt. Mais ça peut être violent. Se moquer d'un parlé comme Jean-Luc Mélenchon l'a fait, c'est dire qu'il existe une hiérarchie entre les accents – alors que tous se valent, évidemment. Et c'est donc sous-entendre une hiérarchie entre les personnes et que des accents sont socialement plus acceptables que d'autres.
En France, quel est le «bon» accent?
Celui de Paris, d'Île-de-France, considéré comme le plus neutre, le plus noble.
À quoi sont associés les autres accents?
Ça dépend. Les accents du sud sont liés à des représentations positives, ils évoquent les vacances, le pastis, le soleil. Mais aussi des personnes flemmardes à qui on ne peut pas confier des tâches importantes. Voire au banditisme. Des accents du nord de la France, le picard par exemple, vont être associés à une idée de sous-éducation.
Et les accents suisses?
En France on les associe à la campagne et surtout à la lenteur. La lenteur, c'est bien pour un pays où l'on va se reposer…
Qu'entraîne concrètement la glottophobie à part des moqueries?
En France, pays extrêmement centralisé, elle est très forte. Mais ça dépend des professions. Pour les journalistes, politiciens, enseignants ou acteurs, par exemple, le phénomène est très puissant. Très concrètement, ce sont des discriminations à l'embauche car on n'a pas l'accent «neutre» de Paris. Et tout aussi concrètement, c'est l'obligation de gommer ou cacher son accent sinon l'accès à certains postes ou emplois est simplement impossible.
Est-ce pareil en Suisse?
Je connais un journaliste jurassien à qui on a demandé de cacher ses «r» jugés trop marqués... Mais non, de manière générale les discriminations liées aux accents sont moins présentes en Suisse romande. Qui connaît par contre une situation qui peut sembler paradoxale.
C'est-à-dire?
Nous avons mené un sondage autour de ces thèmes. Lorsqu'on demande aux Romands qui parle le meilleur français, ils désignent Neuchâtel et surtout Genève. C'est là, est-il perçu, qu'on parlerait le français le plus neutre. Mais quand on demande aux Romands quel accent ils préfèrent ils désignent le leur. Et disent surtout tous détester l'accent genevois… Perçu comme centre linguistique, Genève joue un peu en Suisse le rôle de Paris en France, engendrant un rapport centre-périphérie comparable.
Mais sinon, en Suisse, chacun se fout un peu de l'accent du voisin, non?
Pas vraiment. Je trouve au contraire que les Suisses ont beaucoup de respect pour l'accent de l'autre, ils sont très tolérants sur cette question, ce qui n'est absolument pas le cas en France. En Suisse romande, en fait, on se moque surtout de l'accent des Alémaniques.
De manière générale, les accents disparaissent?
On constate une uniformisation, un gommage, mais il n'est pas aussi marqué qu'on l'imaginait il y a vingt ans. Il existe aussi un retour à l'attachement à son terroir, à son identité, une fierté de son accent.
En Suisse également?
Absolument, on affiche et affirme son accent. Sauf, parfois, lorsqu'un Suisse se retrouve face à un Français. Là, certains tentent de dissimuler leur accent. Ça indique un complexe d'infériorité linguistique bien connu. Celui qui a un accent marqué peut avoir l'impression de mal parler, de faire des fautes. Et c'est absurde: on ne parle ici que d'accents.