Côtes libyennesTrafic de migrants, un marché mouvementé
La traversée méditerranéenne est un "marché" de 5 milliards d'euros. 2017 compte 4000 "consommateurs" non satisfaits. 1000 autres sont morts.
Les méthodes font froid dans le dos, les chiffres donnent la nausée. La réalité, elle, est toujours là, même si elle évolue avec les décisions européennes. Le passage de migrants des côtes libyennes jusqu'en Italie peut aussi être vu comme un business: lucratif, incertain, périlleux, voire dramatique... pour les "consommateurs".
Des «bateaux-mères» arrivant à la limite des eaux italiennes aux canots surchargés tout juste capables de sortir des eaux libyennes, les méthodes des trafiquants de migrants ont beaucoup évolué ces dernières années au large de la Libye. Jusqu'en 2014, les passeurs transportaient les migrants à bord de gros bateaux.
Ils les faisaient descendre dans de plus petites embarcations près des eaux italiennes, pour qu'ils atteignent seuls la côte. Mais avec Mare Nostrum, la vaste opération de secours lancée par l'Italie après le naufrage du 3 octobre au large de l'île italienne de Lampedusa (plus de 360 morts), la justice italienne a élargi son autorité pour permettre aux forces de l'ordre d'appréhender les passeurs dans les eaux internationales.
Bloqués dans les eaux libyennes par Mare Nostrum puis par l'opération navale européenne Sophia à partir de 2015, les passeurs ont commencé à envoyer les migrants sur des embarcations qu'ils renonçaient à récupérer.
De plus, l'ouverture de la route des Balkans pour les Syriens au printemps 2015 a détourné ces migrants qui avaient représenté 25% des migrants partis de Libye en 2014 et étaient prêts à payer plus cher.
67'000 euros par canots
Les trafiquants ont désormais recours à des canots pneumatiques toujours plus surchargés et moins équipés. En 2015, les gardes-côtes italiens ont compté 676 canots dont 80% avec un téléphone satellitaire pour appeler à l'aide, et une moyenne de 103 passagers. En 2016, il y avait 1094 canots dont seulement 45% avec un téléphone, une moyenne de 122 passagers et des passeurs qui récupèrent parfois le moteur à la limite des eaux internationales.
Selon les estimations de Sophia, certaines zones côtières libyennes tirent 50% de leurs revenus de ce trafic, avec un bénéfice allant jusqu'à 67'000 euros pour un canot pneumatique et 380'000 euros pour un bateau en bois avec 400 personnes entassées à bord.
L'organisation européenne de contrôle des frontières, Frontex, évalue le chiffre d'affaires total du trafic entre 4 et 6 milliards d'euros. Au total, près de 550'000 migrants sont arrivés en Italie entre 2013 et 2016, et 37'000 depuis le début de l'année.
Les secours en place
En 2014, 71% des migrants ont été secourus par la marine et les gardes-côtes italiens et 24% par les cargos commerciaux. Mais faute de soutien européen pour une opération régulièrement qualifiée de «pont vers l'Europe», l'Italie a arrêté Mare Nostrum fin 2014.
Au printemps 2015, malgré la quasi-absence de navires de secours, les départs ont été aussi nombreux et deux naufrages ayant fait 1200 morts en avril ont poussé l'UE à fortement renforcer l'opération Triton menée par Frontex et à lancer Sophia.
Les tragédies ont aussi mobilisé des ONG, d'abord les Maltais du Moas en 2014 puis Médecins sans Frontières en 2015, jusqu'à une dizaine d'organisations aujourd'hui. Les plus grosses ont secouru au total 26% des migrants en 2016, prenant de facto la place des cargos (passés à 8%), tandis que les plus petites assurent la distribution de gilets, le maintien du calme et les soins médicaux d'urgence le temps qu'un gros bateau arrive.
Des milliers de morts
Marine et gardes-côtes italiens représentent encore 40% des secours, Sophia 13% et Frontex 7,5%, selon les statistiques des gardes-côtes italiens.
Malgré leurs efforts, plus de 4500 migrants sont morts ou disparus en 2016 et un millier cette année. Ils meurent de noyade dans les naufrages, mais aussi de froid, de déshydratation, asphyxiés par les émanations de carburant, étouffés dans les embarcations surchargées...
L'UE est en train de former et équiper des gardes-côtes libyens dans le but d'empêcher les migrants de gagner les eaux internationales. Selon l'OIM, 4129 migrants ont ainsi été interceptés cette année. L'idée est qu'ils soient reconduits dans des camps en Libye et raccompagnés dans leur pays.
Mais le chaos libyen risque de rendre difficile le travail des gardes-côtes dans certaines zones et les garanties de traitement digne dans les camps. Les organisations de défense des droits de l'homme soulignent que 40% des migrants reçoivent un titre de séjour en Italie, qui reconnaît ainsi qu'ils ne doivent pas retourner dans leur pays.