PhénomèneUn rappeur neuchâtelois fait rire les internautes jusqu'en Haïti
David Haeberli bat des records sur les réseaux sociaux. Parodiant des chansons célèbres, l'artiste David Haeberli comptabilise plus de 20 millions de vues. Un succès fulgurant, qui n'est pas dû au hasard.
- par
- Lucien Christen

Dans ses clips, David Charles est habillé en MC Roger, un rappeur-chanteur portant la chemise d'armailli.
David Charles tutoie d'emblée et ne manque pas de bagou. Il dégage quelque chose de motivant, une sorte d'énergie contagieuse qui donne envie de sourire. Et pourtant… Pourtant il y a aussi de la fragilité, qui émane de ce Neuchâtelois plutôt balèze. Ses yeux vert-brun ne cessent de faire des allers-retours de l'interlocuteur au vague. Du vague à l'horizon. Ce genre de fragilité qui fait que son regard se perd lorsqu'il cherche le mot juste pour parler de ceux qu'il aime. David Charles n'est pas ce que l'on pourrait appeler un timide, mais il a cette tendance toute suisse à s'effacer dans sa réussite. Il dit que «tout ça le fait rire». Que c'est «toute la famille qui a participé».
Malgré sa modestie, il est sans doute le Romand le plus en vue du moment. Il s'est fait connaître avec des parodies de chansons à succès. La première fin juin et la seconde il y a une semaine. Le tube du rappeur français Maître Gims «Sapés comme jamais» est ainsi devenu «Racler comme jamais», hymne décalé à la raclette, sur fond de rythme africain. Il s'est ensuite occupé du morceau latino «Despacito», le clip vidéo le plus regardé de l'histoire avec passé 3 milliards de vues sur YouTube. David Charles en a fait «C'est l'apéro». De l'humour un peu franchouillard? Sa vidéo a été visionnée plus de 20 millions de fois en une semaine, uniquement sur Facebook, rien que ça.
C'est indéniable, il fait rire les internautes, avec son personnage de MC Roger, un rappeur-chanteur qui porte la chemise d'armailli, jouant le gangster dans les prés du Val-de-Ruz (NE). «C'est décalé, sans prise de tête, commente l'artiste de 36 ans. C'est ça qui rapproche. La simplicité. Elle touche les enfants comme les PDG, elle mélange.» L'art, pour David Charles, c'est justement le mélange. Celui des gens, des genres. S'il fait rire aujourd'hui, il chantait déjà hier. Et avant-hier? «Je dansais…» Le regard retourne au vague. Alors on lui parle de la danse.
Transpercé par la créativité
Ses mains s'agitent en une chorégraphie communicative. Elles vont d'avant en arrière, l'index tendu, comme un rappeur qui appuie son texte sur le tempo des paroles. «Danser, c'est la liberté. Pour moi, les sensations sont aussi fortes que lors d'un saut à l'élastique. Lorsque je danse, je voyage. Une fraction de seconde, je suis ailleurs, dans une autre dimension. La créativité nous transperce, le corps n'est que l'objet de son expression.» Et il se marre.
Encore ce masque de rigolo («J'ai toujours été un pitre»). Mais David Charles – Haeberli de son vrai nom – dissimule une longue expérience. Il danse depuis ses 13 ans. Deux fois champion de Suisse de breakdance, médaillé de bronze aux Mondiaux de la discipline en 2002. Puis danseur professionnel pour la comédie musicale «Les 10 commandements». S'il n'est pas encore habitué aux masses de clics des réseaux sociaux, il connaît bien la sensation procurée par les applaudissements de 15 000 personnes lors des tournées Arena, en Allemagne. «C'est là que j'ai rencontré ma femme, Linda, glisse-t-il. Elle venait de Rome et dansait pour des ballets classiques. Ouais, je sais, c'est un peu comme dans une de ces comédies romantiques que l'on voit au cinéma. Mais là, c'était la vraie vie.»
Il le dit lui-même: «Je suis un peu fleur bleue.» L'émotivité, pas facile dans le monde de la breakdance, où les gros bras rivalisent d'acrobaties? «Tu sais, beaucoup de rappeurs se prennent pour des gangsters, mais ils ont le parquet chauffant à la maison. Il y a un gros décalage entre le ghetto et la Suisse. Ici, on est des péouets! Le rappeur suisse est dans la place… du village!» La prise de recul, c'est d'ailleurs ce qui est à l'origine de son projet de parodie. «Les artistes passent leur vie à se chercher. Quand j'étais jeune, j'étais le seul «pur Suisse» de la bande. On m'appelait «Raclette». Alors j'ai construit mon personnage là autour. La nature, l'autodérision, ça me correspond bien!»
Pas d'argent, juste des sourires
David Charles semble avoir compris la prochaine question. C'est son regard malicieux qui le trahit. «Tu te demandes si ce n'est pas énervant de se faire connaître à travers la chanson d'un autre, alors que je compose depuis longtemps?» Son aplomb vient de répondre à sa place. Tout comme la liste des pays d'où proviennent les messages d'encouragements, qu'il fait défiler sur son téléphone portable. «Tu imagines, un chanteur neuchâtelois qui fait danser des gens en Haïti, en Martinique, au Québec et en Belgique, sans même le savoir? C'est un truc de fous!»
Il est sur un petit nuage. La vidéo qui devait servir de coup de projecteur à son nouveau one-man show, prévu pour janvier, vient de lui offrir une visibilité mondiale. S'il se dit flatté, il garde néanmoins les pieds sur terre. «J'ai compris avec cette histoire que ce que j'aimais, c'était faire rire les gens. Pourquoi? Parce que les gens tristes, tu cherches à leur remonter le moral, ça te fait réfléchir. Alors que la joie, tu te la prends en pleine figure. Le rire, c'est comme l'art. C'est éphémère. Cela te force à apprécier la vie, là, sur le moment.» Et les sous, me direz-vous? Eh bien, David Charles ne semble pas s'y intéresser. S'il aurait pu monnayer ses vidéos, avec l'accord des compositeurs originaux, il a préféré ne pas s'embêter avec la paperasse. «Ce n'est pas le plus important. La caillasse, au final, on s'en fout!»