CommunicationUn retour aux hiéroglyphes?
Les images – smiley et autre pouce levé – prennent toujours plus de place dans nos écrits. Faut-il s'en inquiéter?
- par
- Cléa Favre

Cœurs brisés, cuisses de poulet, excréments, surfeurs, escargots, visages aux joues rouges, arc-en-ciel… Les émoticônes, appelées aussi emoji, dans leur infinie diversité, se glissent partout. Auparavant cantonnés à l'archaïque:-) et aux SMS, ces dessins qui symbolisent un ressenti ou un état d'esprit ont gagné du terrain dans toutes nos communications électroniques. A tel point qu'ils deviennent même un langage à part entière: le livre «Alice au pays des merveilles» a été «traduit» en émoticônes, le journal britannique The Guardian s'est récemment amusé à retranscrire un discours de Barack Obama, un roman est sorti sans mot et il existe même un réseau social – Emojli – où les symboles sont l'unique manière de communiquer.
Ce n'est pas une langue
D'ailleurs, les linguistes s'intéressent à cette évolution. «On peut se demander si l'on revient aux hiéroglyphes, période où on utilisait des images pour exprimer des idées», avance Christa Dürscheid, linguiste à l'Université de Zurich. Une nouvelle langue? «Non, il n'y a pas de structures grammaticales, les notions d'hier, de demain, de conditionnel sont très difficiles à exprimer», tranche-t-elle. Assiste-t-on alors à un appauvrissement de la langue? La chercheuse observe en tout cas un phénomène nouveau par rapport aux premières émoticônes: aujourd'hui, des emoji remplacent des mots et ne font plus que venir en complément.
Mais les linguistes ne se montrent pas inquiets pour autant. Christa Dürscheid fait remarquer que les emoji sont réservés aux conversations écrites, la menace épargne donc l'oral. De plus, elle a pu constater que ces éléments sont utilisés seulement dans un contexte privé (amis, familles, collègues). «Une personne qui postule pour un emploi ou un étudiant qui rédige une thèse n'y ont pas recours. Dès que l'on veut exprimer quelque chose d'élaboré les mots sont nécessaires», fait-elle valoir.
Pour Camille Vorger, maître d'enseignement et de recherche à l'Université de Lausanne, les émoticônes répondent d'une certaine façon à un principe d'économie et de brièveté. «Cependant, ce principe est inhérent à cette communication qui se construit dans un espace hybride, nourri de signes de natures multiples, entre écrit et oral, mots et images. Que l'on utilise une abréviation ou une image symbolique, nous sommes dans une esthétique de la concision et de l'instantané qui se justifie dans ce contexte», précise-t-elle. A ses yeux, il ne faut pas empêcher les adolescents d'utiliser ces ressources car cela participe à une certaine créativité. D'ailleurs, pour elle, les émoticônes constituent un apport à la communication. Elles apportent des nuances, des effets, des précisions, de l'animation, à l'image des petits gestes que l'on pourrait faire lors d'une discussion en face-à-face.