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Salaire minimum«Un salaire d'ouvrier ne suffit plus»

Le conseiller d'Etat socialiste vaudois Pierre-Yves Maillard estime que l'initiative n'étranglera pas les entreprises.

Laure Lugon Zugravu
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Laure Lugon Zugravu
Pierre-Yves Maillard dirige le Département de la santé et de l'action sociale du canton de Vaud.

Pierre-Yves Maillard dirige le Département de la santé et de l'action sociale du canton de Vaud.

Philippe Maeder

Il y a peu, l'entreprise Hugo Reitzel, à Aigle, expliquait dans nos colonnes qu'elle devrait licencier si l'initiative pour le salaire minimum passait. Vous avez alors dit devant le Parti socialiste vaudois qu'Hugo Reitzel «avait pris la peine d'obtenir une première page dans «Le Matin» pour alarmer le public». Pour cette interview, doit-on vous envoyer la facture?

(Rires.) Vous envoyez des factures pour les interviews que vous sollicitez? Allons, c'était une petite critique. Je suis très heureux de la présence de Reitzel dans notre canton. Elle donne du travail à des gens peu qualifiés et fait d'excellents produits. Nous ferons d'ailleurs tout pour la soutenir. Mais quand elle dit que le fait d'augmenter 16 de ses 120 collaborateurs en Suisse à 4000 francs ferait croître sa masse salariale de 20%, elle exagère.

Mais est-ce le boulot d'un président du Conseil d'Etat de prendre position là-dessus? C'est plutôt celui d'un leader syndical!

Comme conseiller d'Etat, nous nous exprimons librement concernant la politique fédérale. Je ne serai pas en pointe dans la campagne et j'ai parlé devant le congrès de mon parti. Mais j'ai aussi quelque chose à dire en tant que responsable des affaires sociales. Car je constate une vraie contradiction dans le débat sur les bas salaires.

Laquelle?

Les mêmes qui se déchaînent contre le salaire minimum se déchaînent aussi quand on veut résoudre le problème par la politique sociale. Quand nous avons instauré les prestations complémentaires pour les familles qui travaillent, nous avons affronté une opposition totale des mêmes milieux patronaux. Même chose pour les subsides LAMal. Quand nous avons porté la limite du revenu donnant droit à un subside de 3200 à 3700 francs pour une personne seule, il a fallu entendre que c'était de l'arrosage. Et cela pour un subside de 20 francs par mois! En fait, ce n'est jamais le bon moment et jamais le bon moyen pour trouver une solution au fait qu'un salaire d'ouvrier ne fait plus vivre une famille, et dans certains cas, même pas l'ouvrier tout seul.

Vous restez donc sourd aux difficultés des petits patrons?

Je reconnais ces difficultés. Mais pourquoi, sur la question des bas salaires, les positions sont-elles si idéologiques? Si certains jugent l'initiative trop forte, pourquoi n'ont-ils pas proposé un contre-projet, avec des exceptions possibles selon les branches ou les régions en cas d'accord entre partenaires sociaux, par exemple? Depuis trop longtemps, quand il s'agit de pouvoir d'achat, une partie du monde du travail s'entend simplement dire non, y compris quand on veut agir par les CCT.

Ne voyez-vous pas le risque, si l'initiative passe, que les gens non qualifiés se retrouvent au chômage?

Si les employeurs ont besoin de ces salariés, ils les garderont. Avec pour corollaire que leur pouvoir d'achat augmentera, ce qui aura aussi un effet positif pour l'économie. Car pour vendre des produits, il faut bien que le peuple puisse consommer. Depuis 30 ans, on rechigne à augmenter les salaires et on pousse les gens à consommer à crédit. On a vu les dégâts de cette tendance aux Etats-Unis et en Europe.

Mais ce n'est pas le cas de la Suisse!

C'est vrai. Ce qui prouve qu'avec des salaires plus hauts que ceux de l'UE, la Suisse est restée dynamique, avec une balance commerciale positive. Dire que l'augmentation des salaires les plus bas nuira aux exportations n'est pas démontré.

Pourtant, l'initiative touchera en priorité le secteur secondaire. Ne craignez-vous pas qu'elle pousse la Suisse à devenir un ghetto du luxe et des services?

Le risque existe et il faut se battre là contre. Mais l'impact des salaires sur le prix des produits est moindre dans l'industrie que dans les services. Pour l'industrie, l'appréciation du franc, donc la politique de la BNS, est plus significative qu'une hausse des salaires. En outre, les discussions avec l'UE laissent présager une forte baisse des impôts pour les entreprises. Relever les très bas salaires serait une des contreparties équitables.

Vous ne redoutez donc pas les délocalisations?

Comme conséquence de cette initiative, non. Je les redoute par contre comme conséquence du vote du 9 février sur l'immigration de masse.

L'initiative va-t-elle vraiment enrayer le dumping salarial? La volonté du Conseil fédéral de renforcer les mesures antidumping n'est-elle pas suffisante?

Le dumping salarial dépasse la question des très bas salaires. Proposer un salaire de 4200 fr. par mois à un ingénieur par exemple relèverait du dumping. Donc, forcément, l'initiative ne règle pas toute cette problématique, mais elle y contribue notamment pour les branches sans CCT, car les mesures d'accompagnement y sont moins efficaces. Justement par manque de référence salariale claire.

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