Jura: Le tronc était si rare qu'il a été adjugé à 11'600 francs

Quand il s'est rendu tout dernièrement à la vente aux enchères de Bubendorf (BL) avec six troncs et deux collègues du triage du Val-Terbi, le garde forestier jurassien Luc Roueche était sûr de la valeur de sa bille hors catégorie: un érable ondé, ça n'arrive qu'une fois sur mille, uniquement sur un sol karstique. Bien droit, sans nœud, le sien était particulièrement beau, avec des ondulations jusqu'au cœur.

Résultat de la vente organisée par l'Association forestière bâloise le 19 février: 11 600 francs. «Les experts l'ont véritablement ausculté, en se couchant dessous», rapporte Luc Roueche.

Le m3 à 7999 francs: pourquoi tant d'argent pour une essence indigène, alors qu'un érable standard vaut entre 130 et 150 francs? «On ne peut pas repérer un arbre ondé dans la forêt: les ondulations sont invisibles, à moins de soulever l'écorce», indique Luc Roueche.

Pourquoi avoir abattu celui de Pleigne? «Cet érable faisait partie d'un lot qui faisait de l'ombre aux jeunes pousses: il s'agissait de favoriser la régénération de la forêt», poursuit le forestier.

Une fois l'érable abattu, Luc Roueche a remarqué ses fibres déformées. Le forestier a découpé une tranche pour s'apercevoir que les ondulations allaient jusqu'au cœur. De quoi fabriquer de beaux violons? «À ce prix, c'est trop cher pour un luthier...», observe Luc Roueche.

Trop cher pour un luthier qui en ferait le dos d'un violon, d'un basson ou d'une guitare? «Ça rendrait l'instrument trop coûteux. Une telle qualité est destinée à la marqueterie, au placage de luxe», suppute Luc Roueche, à qui l'identité de l'acheteur n'a pas été communiquée.

En faire de beaux meubles? «Cette qualité convient bien au tableau de bord d'une belle voiture», ajoute le forestier. Le seul paramètre qui aurait pu augmenter sa valeur, c'est un diamètre plus important qui conviendrait à de plus grands meubles.

La littérature indique que le tranchage affiné dans les années 1950 a fait grimper les prix. «L'acheteur ne calcule pas le prix au mètre cube, mais à la tranche», précise le garde forestier.

Chêne, peuplier, tilleul ou noyer: aucun autre feuillu indigène n'est exposé à cette anomalie. «On trouve des hêtres et des frênes ondés, mais sans valeur particulière» observe Luc Roueche. Détail technique: les oscillations de l'érable sycomore ne se croisent jamais, une caractéristique qui rend le tronc utilisable de bout en bout.

L'érable sycomore est un bois homogène, ni trop léger, ni trop lourd, d'un blanc nacré ou rosé, «à petites mailles ocrées brillantes», selon un expert français. «La coloration a peu d'importance: elle varie au gré des modes», précise Luc Roueche.

S'ils rapportent tant, pourquoi ne pas planter des érables sycomores, avec ses samares qui font l'hélicoptère en tombant? «Impossible à reproduire: les ondulations ne sont pas liées à la génétique». Un sol calcaire paraît nécessaire, mais il n'offre aucune garantie.

«C'est comme les morilles: leur présence n'est jamais garantie au même endroit», compare le forestier. «Là, on parle de 6 m3 sur 20 000 m3 coupés en un an dans notre triage», nuance le forestier.

Mais ce sera plus fort que lui: Luc Roueche favorisera un petit érable sycomore, même si ce ne sera pas lui qui le coupera: l'érable vendu avait entre 120 et 150 ans.