Agressivité: Une explosion de rage révèle des troubles psychiques

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AgressivitéUne explosion de rage révèle des troubles psychiques

Incapable de gérer sa colère, un passager a été débarqué d'un avion puis interné. Car si ce sentiment n'est pas anormal, la perte de contrôle qui survient chez certains est pathologique.

par
Marie-Christine Petit-Pierre. Avec la collaboration de www.planetesante.ch.

La colère est un sentiment universel. Mais, mal maîtrisée, elle peut avoir des conséquences catastrophiques. Le cas du passager irascible qui a dû être déposé à Boston après une crise de rage n'est pas isolé. Avant lui, Jean-Luc Delarue avait mordu et giflé un steward alors qu'il volait entre Paris et Johannesburg. L'animateur mort en 2012 avait bu et pris divers médicaments pour conjurer sa peur de l'avion.

Les exemples de passagers débarqués après être sortis de leurs gonds sont assez nombreux. Ils montrent de façon spectaculaire que la spirale de la colère mène parfois à des actions démesurées. A partir de quand ces manifestations relèvent-elles du médical? Et s'agit-il de colère ou de crise de nerfs?

«Je parlerais plutôt de colère ou de «trouble explosif», explique le Dr Ariel Eytan, du service de psychiatrie générale des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). Une personne en proie à une crise de nerfs peut se rouler par terre, mais elle ne manifeste pas forcément de l'agressivité. Alors que la colère est une émotion qui peut provoquer un comportement agressif.» Et c'est cette attitude qui pose problème. «Si l'agressivité est disproportionnée par rapport à l'élément déclencheur, on considère qu'elle est pathologique», poursuit le psychiatre.

Plus fréquents chez les hommes jeunes

Ces troubles explosifs sont plus fréquents chez les hommes jeunes et sont favorisés par la prise de substances psychotropes (alcool, drogues), par le stress, la fatigue et le confinement, c'est-à-dire quand on ne peut échapper à une situation, comme dans un avion ou encore coincé dans un bouchon en voiture. «Ces situations me font beaucoup penser à ce que les Américains appellent «road rage» (rage au volant), qui définit le comportement de conducteurs très agressifs et dangereux. Cette catégorie de colériques pathologiques a été très étudiée aux Etats-Unis, au point que les psychiatres ont songé à l'inclure dans la classification des maladies psychiatriques», remarque Ariel Eytan. Faudra-t-il un jour parler de «rage en avion»? Car même si les conditions de vol favorisent les explosions de rage, celles-ci sont dans tous les cas pathologiques.

Qu'est-ce qui distingue alors une personne qui se maîtrise d'une qui n'y parvient pas? «Certaines personnalités sont plus vulnérables aux émotions que d'autres; elles ont une sensibilité plus grande aux stimuli, internes (pensées, besoins physiologiques, sensations physiques) ou externes, et une plus grande réactivité. Elles réagissent donc plus vite et plus fort aux mêmes événements. De plus, elles ont de la peine à revenir à un état normal. A la suite d'une contrariété, ces personnes ne s'apaisent pas. Elles restent donc longtemps dans un état de vulnérabilité accrue face aux émotions», explique le Dr Paco Prada, psychiatre aux HUG et l'un des responsables du programme trouble de la régulation émotionnelle (TRE).

Par ce programme, le psychiatre essaie d'apprendre aux patients atteints de troubles psychiques divers (trouble de déficit de l'attention, hyperactivité ou personnalités borderline) et souvent en proie à des états émotionnels intenses et difficilement contrôlables à identifier leurs émotions et à les moduler. «Les émotions ont une raison d'être, explique-t-il. Si je ne les reconnais pas, ou mal, cela affecte ma capacité à savoir qui je suis. Si je les reconnais, elles racontent quelque chose de mon expérience et cela me conforte dans mon identité. Je peux mieux communiquer avec autrui.»

Un sentiment d'incompréhension

Mais comment réagir face à des individus incapables de se contrôler, comme ce passager du vol Miami-Paris? «Ce monsieur s'est probablement senti incompris, bafoué, victime d'une injustice, analyse Paco Prada. Il a pu penser que la passagère devant lui ne l'avait pas pris en compte, avait allongé son siège sciemment. Il était peut-être plus vulnérable en raison de la fatigue, d'une contrariété, de douleurs, de la prise de médicaments ou de boisson. Il aurait donc fallu essayer de comprendre ce qui l'a mis dans cet état, marquer une certaine empathie et légitimer sa colère. En demandant par exemple: «Est-ce que je vous ai fait mal?» Il faut reconnaître que c'est très difficile, que ce n'est pas une attitude spontanée. Mais si on y arrive, il y a de grande chance que la personne s'excuse, explique les problèmes qui l'ont menée à se mettre dans cet état.»

Autrement dit, analysée à sa juste valeur, la colère peut être malgré tout bénéfique. C'est ce que pensait Aristote, qui qualifiait paradoxalement cette émotion violente de «plus douce que le miel». Mais faire l'éloge de la colère n'est pas faire celui du passage à l'acte. Nous pouvons avoir raison d'être en colère mais nous n'en sommes pas moins responsables de notre manière de l'exprimer. «La colère peut être utile si elle est bien utilisée, conclut Paco Prada. C'est un moteur essentiel de l'humanité sans lequel nous serions assez vulnérables. Elle sert à réagir vite, sans hésiter en cas de danger. Face à un tigre, mieux vaut agir que dialoguer. Mais dans notre monde policé, mieux vaut savoir la maîtriser.»

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